1, 2, 3, 4, 5, 6, 7, 8, 9, 10, 11, 12, 13, 14, 15...
1 heure, 1 minute et 1 seconde.
Ni plus, ni moins.
L'horloge tourne. Tic tac tic tac tic tac. Les aiguilles défilent.
Keiko est une affaire de durée. Uniquement de durée. Sono Sion poursuit en quelque sorte l'expérimentation de The Room sur le temps. Dans The Room, il s'agit de l'étirer à l'infini. Ici, il s'agit d'une échéance.
Keiko est l’œuvre la plus ouvertement expérimentale de son auteur. Ici, nulle intrigue, nul fil narratif, même pas le côté "témoignage brut" qui donnait sa force à "I am Sono Sion!!". Aucun artifice. On est devant un dispositif purement théorique qui, de fait, ne passionnera pas grand monde.
Keiko se constitue d'une alternance entre plans fixes et plans abstraits, avec comme fil d'Ariane une voix-off qui raconte des choses et d'autres. Et qui compte les secondes. Souvent. Comme pour mieux saisir le temps qui passe. Les plans fixes, souvent des trucs du style scènes de ménage toute bêtes ou Keiko qui contemple le paysage par la fenêtre, trouvent leur justification par cette durée, ce temps qui s'écoule avant qu'ils ne disparaissent. Toute l’œuvre ressemble à une tentative - forcément vaine - d'attraper le présent.
L'ouverture donne le ton : plan fixe, de face, cadré à l'épaule, on admire le visage de Keiko pendant 5 minutes. Et on la voit qui attend, qui s'ennuie, qui s'impatiente. Plus tard, ce sera un pastiche de présentations d'infos, avec Keiko qui raconte sa journée, qui se répétera, encore et encore. On est presque devant une thèse philosophique : qu'est-ce que le temps ? Que le présent ? Bien évidemment, on ne compte plus le nombre de plans avec un réveil ou une horloge.
Un moment que j'aime beaucoup est celui où la narratrice compte les secondes - encore une fois - et, qu'en même temps, on entend les bruits d'une réception - ou d'un hall de gare, je ne sais plus - qui envahissent peu à peu l'espace. Ça donne l'impression de deux lignes de temps parallèles qui évoluent, chacune à sa propre vitesse, et qui se contaminent peu à peu. Sensation troublante et unique, d'autant plus qu'en même temps défilent devant nos yeux une série de plans abstraits.
Mais au-delà de tout l'aspect théorique et, peut-être, un peu rébarbatif, Keiko Desu Kedo est empreint d'une douce poésie, qui lui permet d'éviter d'être un objet froid et distant. Il possède un identité visuelle forte, dominée par le rouge et le blanc, qui donne lieu à quelques plans marquants - Keiko qui marche dans la neige ou qui regarde par la fenêtre. Une recherche picturale dans la lignée d'un The Room, qui séduit et qui aide grandement à rentrer dans ce film un peu particulier.
Ça n'est pas de trop.