Rappel des événements : En 2017, Harvey Weinstein (le gars le plus puissant d'Hollywood, face de gros porc, et le physique qui va avec) est révélé comme étant un gros pervers sexuel, abusant de son statut pour se faire sucer par des jeunes actrices – qui, apparemment, sont prêtes à sucer pour avancer dans leur carrière – lorsqu'il ne verse pas carrément dans le viol. Suite à ça, un hashtag #MeToo est créé (sans quoi la cause n'aurait pas pu être crédible) et là c'est parti, tout le monde se lance, et tous les pervers de la planète sont dénoncés. Dans le lot, le nom de Louis C.K. apparaît ; il confesse. Tout ça c'était après avoir écrit, réalisé, et joué dans le film I Love You Daddy. Bonne ambiance.
Le film et la forme
Esthétiquement parlant, il y a quelque chose d'intéressant. C'est un hommage au cinéma américain classique des années 40, qui me plonge dans cette ère des films studio, au cachet noir et blanc nostalgique et aux lumières artificielles puissantes et présentes, dignes des tableaux bibliques de la renaissance.
C'est aussi le cinéma de Woody Allen, dont les personnages, le rythme, la réalisation, le montage semblent avoir inspiré Louis. Le cinéma de Woody Allen, c'est un peu la vie du réalisateur versée devant la caméra, un exutoire. D'ailleurs, le personnage que joue Louis ressemble étrangement à un Woody Allen, et aux personnages que ce dernier a l'habitude de jouer et de diriger. Ce n'est pas dans le physique, mais il y a une ressemblance entre les deux. J'en parle après.
L'esthétisme visuel est appuyé par un genre musicale de l'époque, un classique romantique moderne, mais conservateur. Je me comprends. Puis une valse... Ça flirte avec la fresque historique à la césure du 20ème siècle. On y est, on est dans le féérique... et ça va totalement trancher avec le sujet et le décors du film. Manhattan, les vieux beaux pédophiles, les problèmes de riches, l'amour d'un père looser...
Premier long métrage pour Louis C.K., on sent qu'il peine à maintenir une régularité dans la réalisation. J'ai souvenir de cadrages totalement loufoques, comme si... comme si tout le plateau était parti en pause déjeuner, et que le cadreur s'était assoupi, sans personne pour le recadrer. Quelques scènes rompent avec le reste, sans vraiment que cela choque, mais je n'ai pas saisi le message du réalisateur lors de ces hétérogénéités. Était choisi ? Ou était foiré ? Louis nous le dira peut-être, un jour.
Le propos et le fond
J'ai trouvé que le film, par ses propos, et son rapport à la réalité, est une petite pépite d'intelligence. C'est une intelligence surement plus insufflée par le contexte de la sortie du film, que par C.K. lui-même. Bien qu'il ai réussi à échafauder quelques réflexions très intéressantes.
Tout le sujet du film, c'est l'attrait d'un vieux réalisateur, très talentueux, très charismatique, pour des jeunes filles. Est-ce pervers ? Est-ce moral ? Est-ce que les jeunes filles n'ont pas leur mot à dire ? Qu'est-ce qu'une femme ? Qu'est-ce que le féminisme ? Où est la place d'un père dans tout ça ? Peut-on tout pardonner aux idoles et aux génies ?
Louis C.K. semble se poser toutes ces questions. C'est très ironique, sachant que son film emprunte énormément à Woody Allen, allant même jusqu'à incarner ce dernier en la personne de Glen, le personnage principal. Woody Allen, pour rappel, c'est celui qui a touché sa fille de manières inconvenables ; on peut parler de viol. C'est très ironique, car Louis C.K. reconnaîtra avoir eu des agissements sexuels déplacés vis-à-vis des femmes. Se masturber devant quelqu'un sans son consentement, ce n'est pas très sain.
Alors il me semble que Louis C.K. veuille expier ses fautes et analyser son propre comportement, à travers ce film. Il se symbolise à travers ses trois personnages masculins principaux. Il est évidemment Glen, l'écrivain-producteur pathétique un peu paumé. Il est évidemment Leslie, le réalisateur-scénariste à succès, plein d'esprit, très charismatique, devenu un mastodonte dans son milieu. Et il est Ralph, l'homme drôle mais lourd. Cette explosion de son être, de ses peurs, de ses appréhensions, de ses angoisses, de ses qualités et de ses défauts est sublime. C'est intéressant de se décortiquer de cette façon, afin de mettre en exergue tout ce que l'on déteste chez soi.
Glen est pathétique, il n'attire aucune sympathie, mais ce n'est pourtant pas lui qui est soupçonné d'être pédophile. Le pédophile, c'est Leslie. Leslie est grandiose, il est adulé, il est charmeur, il est intelligent, sage, et ne s'embarrasse pas du jugement des autres. Leslie ne s'embarrasse pas non plus de certaines barrières morales, tel que l'âge de ses conquêtes. Leslie est serein. Et Ralph aime simuler la masturbation en public, mais tout le monde le trouve drôle.
Glen tentera d'empêcher sa fille de 17 ans de fréquenter Leslie, mais Glen ne saura pas expliquer l'origine de son inconfort vis-à-vis de cette relation, et il sera confronté à une contre-argumentation qui semble avoir plus de force et de sens que son pauvre argument autoritariste : « Je ton père. »
Je me suis demandé, pourquoi réserver un tel traitement à Glen ? Glen, c'est le type comme tout le monde, qui faute sans mal et sans maux. Alors pourquoi est-ce que, en comparaison de l'opportuniste obsédé sexuel qu'est Ralph ou le pervers pépère qu'est Leslie, ce soit Glen, le mec le plus « normal » du film, qui soit celui qui souffre le plus. Leslie est épanoui, et grandiose. Ralph est trop con pour être malheureux... Faut-il être malicieux pour vivre heureux ?
Alors... Quelle est la morale du film ? Le sujet est complexe, mais j'ai l'impression que la conclusion est qu'il n'y a pas d'autre morale valable que celle qui est la notre. « J'assume. » Ce serait gonflé, Louis. Et, comme le dit un personnage à la fin : « tout le monde est un pervers. » Oui, Louis... mais tu t'es fait gauler.
Dans le contexte #MeToo, on pouvait penser que ce film serait un mea culpa très travaillé de la part de Louis C.K. Si tel est le cas, il est peut-être trop travaillé, pour être considéré comme honnête. Et si C.K. a effectivement voulu expier son ses fautes, ça me paraît là être une façon d'amoindrir ses agissements, plus que d'exprimer de sincères remords.