Par où commencer cette critique...

I Saw The TV Glow est un film indépendant assez étrange, clairement inspiré des films de David Lynch dans son esthétique et son intrigue un peu énigmatique : les réponses ne vous seront pas données, à vous d'en tirer vos propres conclusions.

Le scénario se résume ainsi : Owen, un petit garçon mal dans sa peau et ostracisé, se lie d'amitié avec une élève plus âgée, Maddy, avec laquelle il commence à partager une passion pour une série télé plutôt "girly", The Pink Opaque (à mi-chemin entre Buffy contre les vampires et Chair de poule), dans laquelle deux jeunes filles liées par un tatouage psychique, Tara et Isabel, déjouent les plans des sbires du grand méchant de la série, Mr Melancholy (représenté sous les traits d'une lune maléfique, inspirée du Voyage dans la lune de Méliès). Tout bascule lorsque Maddy devient de plus en plus convaincue qu'elle et Owen sont en réalité Tara et Isabel, coincées dans une autre dimension, et doivent se réveiller d'un mauvais sort que leur a jeté Mr Melancholy...

Si le synopsis laissait sous-entendre une histoire tendant vers le thriller supernaturel rétrofuturiste (ce qu'Archive 81 avait très bien réussi, dans le même genre), il est important de noter que contrairement à ce qu'on pourrait imaginer, ce n'est pas vraiment ce dont le film souhaite traiter...

Pour ma part, j'ai trouvé le scénario assez difficile à suivre, et le message du film, plutôt ambigü... Par conséquent, ce qui suit ne peut être que ma propre interprétation, je ne prétends pas avoir toutes les clés du film, et j'en ai peut-être loupées. Et pour appuyer mon propos, je vais devoir parler de certaines scènes du film.

I Saw The TV Glow me semble être un commentaire sur la transidentité et la conformité de genre, sur les peurs qui en découlent, et la violence à laquelle la société soumet celles et ceux qui en remettent les fondements en doute.

Le film s'étale sur une période de vingt ans (à grand coups d'ellipses) et présente le personnage d'Owen à différentes étapes de sa vie, et comment sa perception de The Pink Opaque, sa série préférée, évolue avec le temps.

Si étant enfant, les monstres de la série lui paraissaient absolument effrayants, à l'âge adulte, il réalise à quel point elle était fauchée et ses effets spéciaux, nuls. Embarrassé d'avoir aimé cette série qui le faisait se sentir différent (son père, taciturne et rude, lui demande un soir pourquoi regarder cette série pour fillettes), il finit par se "ranger" dans une vie simple, travaillant au centre de loisirs le plus proche. Dépressif et toujours timoré (on le montre avec ironie s'acheter une télé LG - "Life's Good" - alors qu'il semble au bout du rouleau), cette vie ne lui aura pas permis de trouver l'épanouissement auquel il aspirait.

À cela s'oppose le caractère de Maddy, qui avec le temps a sombré de plus en plus dans l'obsession envers The Pink Opaque. Après avoir mystérieusement disparu de chez ses parents, ce n'est qu'après de nombreuses années qu'elle réapparaît comme par enchantement, déclarant qu'elle et lui sont en réalité les protagonistes de leur série préférée, que toute leur réalité est un faux monde, et qu'ils doivent se réunir une dernière fois pour déjouer le plan diabolique de Mr Melancholy.

S'il y a plusieurs façons d'interpréter le message du film, la plus évidente est de considérer le film comme un plaidoyer surréaliste pour la cause de la transidentité. Le film se termine sur une note cynique, presque cruelle, quant au personnage d'Owen, ayant choisi la voie de la société "normale" qui ne lui convenait pourtant pas, et qui l'a toujours rejeté. Comme si la réalisatrice indiquait ici qu'il avait fait le mauvais choix en refusant, à plusieurs reprises, d'écouter Maddy lorsqu'elle l'exhorte à la suivre pour découvrir qui il était réellement. En suivant la voie de l'hétéronormativité, et d'une société qui semble être dénuée de toute sorte de rêverie ou de fantaisie, le personnage incarné par Justice Smith, dominé par ses peurs et sa résignation, aura passé sa vie à côté de l'idée qu'un autre monde était possible. Toutefois, le film conclut sur une note d'espoir, avec le message "There is still time" dessiné à la craie sur le sol: il n'est jamais trop tard pour bien faire...

La question qui mérite le plus d'être posée, me semble-t-il, est : Maddy a-t-elle raison ? Elle et Owen sont-ils vraiment des héroïnes de série télé prisonnières d'un monde factice dans lequel Mr Melancholy les aurait enfermées ? En tout cas, tout, de leur mal-être profond aux "indices" laissant supposer l'existence de ce monde maléfique semble accréditer cette hypothèse.

Peu avant la fin du film, Owen réalise qu'à la place de son cœur se trouve le cosmos télévisuel qu'il avait aperçu des années auparavant, lorsque Maddy lui avait dessiné le tatouage de la série sur la nuque. À la toute fin, il déambule en s'excusant à l'entour, comme pour dire "désolé de ne pas avoir fait le bon choix, celui qui aurait permis à The Pink Opaque de continuer".

À noter que cette "série dans le film" se termine de façon tragique, les deux héroïnes, capturées par Mr Melancholy, étant laissées pour mortes dans une tombe, remplies d'un liquide visqueux censé les endormir avant le trépas (le "Luna Juice") : peut-être une image à mettre en parallèle avec l'expression américaine "to drink the Kool-Aid", ce qui se traduirait grosso modo en français par "avaler des couleuvres".

Le propos du film pourrait également être vu sous l'angle de la critique de la "télé-parent". Il démontre comment deux adolescents, consumés par leur consommation excessive de télévision remplaçant des parents aimants, ont un peu "grandi de travers" faute de bénéficier d'un environnement adapté. C'est une critique de la culture américaine où, pendant longtemps et jusqu'à la fin des années 90 environ (le film débute en 1996), nombre de familles instauraient la télévision comme solution miracle à l'ennui des enfants.

Je dois dire que j'ai plutôt apprécié le film sur le plan visuel, car il a particulièrement bien réussi à retranscrire l'époque des "nineties", avec ses équipements analogiques, les télés pourries, les VHS enregistrées maison, les séries d'horreur pour ados un peu "cheesy"... C'est toute une culture à laquelle la réalisatrice fait de nombreux clins d'œil.

Mention spéciale aux scènes mettant en scène Mr Melancholy, une idée intéressante dramatiquement sous-exploitée selon moi, mais les rares scènes où il apparaît sont réellement cauchemardesques.

La bande-son, composée par Alex G, convient plutôt bien à l'intrigue.

En conclusion, il est difficile de noter ce film, sorte d'OVNI qui me semble avoir eu du mal à boucler son sujet. Une expérience visuelle intéressante, mais desservie par un scénario qui manque de clarté dans ses intentions et donne un sentiment d'inachevé.

Scylardor
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le 20 mai 2024

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