Cette critique spoile le film Ida.


Pologne, années 60. Sœur Anna s'apprête à prononcer ses vœux. Orpheline, elle n'a jamais rien connu d'autre que le couvent. Cependant, sa Mère supérieure lui annonce l'existence d'une tante, Wanda. La Mère supérieure invite sœur Anna à retrouver sa tante quelques jours, avant de prononcer définitivement ses vœux. S'ensuit alors une recherche de réponses concernant le passé d'Anna et Wanda au sein de la campagne polonaise.


Esthétiquement, Ida est l'un des plus beaux, si ce n'est le plus beau, films que j'ai pu voir de ma vie. Chaque plan est somptueux et seul le suivant sait se montrer plus éblouissant. Il y a un certain quelque chose qui imprègne chacune des images du film. Ses villages déserts et ses décors minimalistes. Son actrice principale, à la beauté rayonnante et au regard impénétrable. Sa lumière douce, immaculée et pourtant pleine de contraste. Ses cadres toujours plus déconcertant les uns que les autres, qui noient les personnages dans leur environnement. Son noir et blanc épuré, sublimé par son format 4:3, qui semble imprégner le film d'un touché divin et retranscrire à la perfection, l'idée qu'on peut se faire de la campagne polonaise des années 60.


Les images apparaissent comme extrêmement réalistes, presque comme si le film était un documentaire. Comme si, chaque plan était une copie conforme d'une ancienne photographie ou d'images provenant de souvenirs d'enfance. Une impression renforcée par l'utilisation systématique, ou presque, de plans fixes, sans aucun zoom ou changement de focus. Comme si, le film était construit à partir de ces photographies, tel un album photo. Comme si, chaque image du film n'était que le reflet de souvenirs de l'époque.


Ces souvenirs, ce sont ceux d'un passé lourd qui pousse sœur Anna à sortir pour la première fois de son couvent. C'est le souvenir, la mémoire, qui guide tout le film, lui permet d'avancer. Tout comme les personnages d'Ida et Wanda avancent dans leurs road trip durant tout le film. Le souvenir du génocide juif, le souvenir d'une Pologne qui, dix-sept ans après la fin de la guerre et l'occupation nazie, est toujours plongée dans une austérité extrême. Le souvenir de la froideur du régime stalinien. Le souvenir d'une mère, d'une fille, d'une sœur en quête de réponses à propos d'un passé douloureux, trop douloureux. Un souvenir qui, à l'instar du nouveau propriétaire de la maison des parents d'Ida, préfère être oublié.


Dès le début, le film soulève le problème de l’identité. On nous présente d'abord le personnage de sœur Anna, travaillant minutieusement sur une sculpture du Christ. Avant de nous introduire, à peine quelques plans plus tard, à Ida Lebenstein, orpheline juive et survivante du nazisme. Deux identités pour une seule et même personne. Plus tard, une troisième identité viendra incomber Ida. Au moment où Wanda lui dit à quel point elle lui rappelle sa sœur, la mère d'Ida. Ida n'est pour Wanda qu'un douloureux rappel du passé, un fantôme.


Vers la fin du film, Ida change une dernière fois d'identité. Elle passe d'Ida à Wanda, le temps d'une soirée. Ceci est symbolisé par la robe que porte Ida, ainsi que les manières qu'elle adopte, venant de Wanda. Par cet acte, Ida goûte à ce que la vie a à lui offrir. Néanmoins, cette vie et ses promesses ne l’intéresse pas. Sa décision devient alors lourde de sens après cet épisode. Cette quête du passé, ces multiples identités, amène Ida à choisir ce qu'elle veut être.


Car Ida, au-delà d'un passé douloureux, c'est aussi l'histoire d'un choix. Au début il semble évident pour cette sœur, elle veut prononcer ses vœux. Cependant, au cours de son voyage elle se met à douter en découvrant le monde et ses tentations. Cela n'est pas aidé par le personnage de Wanda qui pousse dans ses retranchements la foi d'Ida, lui montrant son ignorance du monde et, par conséquent, la vacuité de sa décision à cet instant.


Wanda à Ida, à propos des désirs charnels :



Tu deverais essayer, sinon tes vœux ne seront pas un sacrifice.



Là est tout le dilemme d'Ida. Elle qui n'a connu que le couvent, peut elle se targuer que son choix est vertueux et non le fruit de son ignorance. Sans ces épreuves le choix, et par extension le sacrifice, d'Ida serait vide de sens. À la fin, Ida est enfin prête à devenir une sœur, consciente de son sacrifice, car connaissant le monde, elle choisie quand même de prononcer ses vœux. C'est toute l’épreuve que traverse Ida qui permet à ce choix d'avoir une réelle beauté.

Venceslas_F
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le 20 déc. 2017

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Venceslas F.

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