On le sait dès les premiers plans, Ida sera au moins irréprochable sur la forme, avec ses compositions en format 1.37 qui orientent le regard et utilisent la verticalité de l’image de manière fabuleuse. Un cadre au premier abord fermé, auquel vient s’ajouter le noir et blanc pour nous plonger dans le quotidien froid de la Pologne des années 60. Et plus particulièrement au début, dans la rigidité du couvent dans lequel Anna a été élevée, et qu’elle quitte provisoirement avant de prononcer ses vœux, pour aller à la rencontre de son passé. En quelques plans, Pawell Pawlikowski dit tout de la vie d’Anna, jusqu’à ce magnifique plan emblématique de la jeune fille quittant le couvent. En bord de cadre elle se fait toute petite sous le poids du bâtiment qui occupe toute l’image, centrée sur celui-ci. La séquence suivante montre Anna dans le bus qui l’emmène vers la ville. Un des rares plans en mouvement, fait d’un travelling sur la rue remplie de passants, nous emportant dans une sorte de vertige par l’opposition qu’il crée avec les plans fixes rigides du début. Suit un plan sur le visage d’Anna à travers la vitre du bus, dans laquelle se reflètent les passants.
C’est alors que va débuter la relation entre Anna et sa tante Wanda, deux personnages qui semblent s’opposer, mais qui vont se rapprocher. Le noir et blanc et les clair/obscur, qui jouent autant de leurs contrastes que d’une harmonie globale de l’image, souligne admirablement la relation entre les deux personnages (voir notamment les plans dans la chambre d’hôtel, sublimes), mais également les multiples ambivalences du film. Autant dans la description d’une Pologne qui se cherche, que chez les protagonistes. Wanda, personnage très attachant mais qui possède sa part d’ombre. Anna, qui, en découvrant son passé, doit composer avec deux versions d’elle-même, et faire des choix qui dicteront son rapport à la foi et la femme qu’elle deviendra. Pour terminer cette (courte) analyse sur la forme, j’évoquerai un dernier plan. Pendant son séjour hors du couvent, Anna fera notamment la connaissance d’un jeune musicien de bal. Après une de ses représentations, Anna et lui se retrouve seuls. Pour filmer ce premier « rendez-vous » qui n’en est pas vraiment un et souligner la dualité des pensées d’Anna, Pawel Pawlikowski compose un cadre où les deux personnages sont reclus dans le tiers inférieur de l’image, devant un portail qui prend, lui, l’ensemble du cadre et dont les barreaux peuvent faire penser à une cage, mais qui en même temps dessinent par endroit des esquisses de cœurs.
Ainsi le film regorge de plans emblématiques, qui cependant ne sont pas des fantaisies, mais sont bel et bien là pour faciliter la lecture du film et qui permettent, par ailleurs, à Pawel Pawlikowski de faire preuve de beaucoup de retenue dans son récit. Il limite les dialogues, qui ne sont surtout jamais trop démonstratifs ou explicatifs, et préfère filmer des instants d’intimité, des regards, des attitudes, sublimés par le choix d’un format au cadre resserré. Ainsi, le réalisateur crée un rapport très particulier, profond, entre le spectateur et les personnages. Et par le biais de ces personnages, il peut livrer une peinture d’une grande justesse de la Pologne des années 60, en pleine quête d’identité (notamment religieuse) et qui porte encore les stigmates de la Seconde Guerre Mondiale.
Du très grand art.