C’est toujours pareil.
Octroyer un réel et sincère satisfecit à un film russe scatophile médiéval-SF imbitable de 2h50 alors que, dans le même temps, on conspue (par exemple) la comédie franchouillarde populeuse, est largement suffisant pour passer pour le parfait petit connard snobinard branchouille qui se la raconte.
Et pourtant.
Putréfactions rivales
Pourtant, même si ces qualificatifs peuvent parfaitement s’appliquer à l’auteur de ces lignes, "il est difficile d’être un dieu" mérite objectivement une place à part sur notre étagère à chef-d’œuvre.
D’ailleurs, peu de films peuvent se targuer de mériter à ce point le simple qualificatif d’oeuvre, tout court.
Création presque hors-sol (qualificatif oxymorique quand on a vu le film, rien ne peut être plus proche de la terre que ce (très-)long-métrage) d’un démiurge malade à la gestation interminable, le résultat stupéfie, édifie, interdit.
D’abord envisagée à la fin des années 60, cette adaptation, sans aucun doute beaucoup plus folle telle qu’elle apparait ici que celle prévue à l’époque, mettra donc au total près de 40 ans à cheminer dans l’esprit perdu de Aleksey German. Et près de 15 pour la production de cette version, finalement sortie après la mort de son auteur.
Le mot "adaptation" est surement très largement exagéré. German se sert du prétexte du roman pour nourrir sa frénésie d’excès. Cinq ou six voix-off pour poser un cadre science-fictionnesque qui ne servira finalement qu’à une seule chose: ajouter une couche d’étrange sur la tranche de bizarre.
Parce que, de ces commentaires sibyllins, aucune aide ne permettra au spectateur de comprendre les enjeux de ces dialogues abscons, de ce fatras visuel constant, de ces surenchères obscènes.
Écoulements à bile
Pourtant, terriblement sincères sont tous ceux qui ont goûté à cette expérience ne ressemblant à aucune autre et l’ont aimé. Ils ont sans doute été, comme moi, totalement fascinés.
Fascinés par une photographie magnifique, par un monde à la fois totalement étranger mais sans doute plus proche que tout ce que l’on aura pu imaginer sur un moyen-âge fétide et torturé, malade et scatologique, ou par une attente constante de la frénésie suivante. Beaucoup ont parlé de la rencontre entre Bosch, Bruegel, Rabelais et les Monty Pythons, et c’est sans doute encore réducteur.
Dans cet univers où tout, constamment, coule en permanence (pluie, urine, selles, boyaux, paroles, sang, boue, morve, larmes, brouets, vomi), une idée, plus que toutes les autres, captive.
German détourne assez simplement le principe du found-footage pour donner à son reportage hallucinant en planète inconnue une ultime aura sur-naturelle. En permanence la caméra se cogne au limites du cadre imposé par les intérieurs asphyxiants du récit. Sans arrêt, les habitants d’Arkanar (car ça ne peut pas être des acteurs, leurs performances seraient trop extrêmes) regardent l’objectif, le repoussent, y font des grimaces, y exposent des pattes d’oies au premier plan, se poussent du coude pour pointer d’un menton amusé l’observateur abasourdi que nous sommes devenus.
Épanchements sur une jambe de bois
Subjugués, nous devenons avides de paradoxes: plus le film s’étend en longueur, moins nous souhaitons qu’il ne s’achève. Plus il devient écœurant, moins nous ne voulons qu’il ne se bride. Plus il se noie, moins nous ne voulons respirer. De victimes nous devenons complices, avant de brûler de devenir bourreaux.
Et pouvoir à notre tour plonger notre lance aiguisée dans une chair flasque et ressentir enfin une émotion vive dans cet univers vicié et sidéré.
Tout cela est bien beau (enfin, façon de parler…) mais je n’aurai pas attendu plus de vingt-quatre heures pour me jeter sur la version romancée d’Arkadi et Boris Strougatski.
J’aimerais quand même savoir de quoi parle cette histoire.