Boue, humidité, densité, lourdeur, beauté et putréfaction, voici ce qu'offre le film dès son premier plan.
Envoyé de la Terre sur une planète dont la société sur place n'a pas encore atteint la Renaissance, Goran Don Rumata déambule avec d'autres scientifiques parmi des visages toujours plus hideux les uns que les autres. N'ayant pas le droit d'intervenir dans l'Histoire de ce monde, celui qui est considéré par les locaux comme une sorte de dieu se contente de violenter et trancher les oreilles de ceux qui osent se mettre en travers de son chemin.
Art total
Il est difficile d'être un dieu est un film-monde. Tous les sens sont présents : l'ouïe, le goût, le toucher, la vue et, chose rare au cinéma, l'odorat. La création d'une œuvre totale est également surprenante lorsqu'on pense qu'au sortir de la Seconde Guerre Mondiale, le théâtre de l'absurde s'est développé justement en opposition au roman ou autres genres ayant vocation à créer des mondes plus vastes. Pourtant, l'expérience que propose ce film rappelle à plusieurs égards les pièces de Ionesco ou Beckett, à l'exception près qu'ici ce n'est pas Godot mais la Renaissance qu'on attend.
Un film lourd
La narration est extrêmement difficile à suivre (le réalisateur considère sûrement que le spectateur a lu le roman des frères Arcadi et Boris Strougatski) puisque les dialogues se suivent mais les personnages ne se comprennent pas.
Cette lourdeur est aussi présente à l'image puisque le spectateur assiste tout au long du film à une surenchère de détails, que ce soit une poule qui traverse une pièce, des corps hideux qui entravent la vision de l'action ou encore la surexposition d'armures et armes en vrac. Paradoxalement, il ressort de ces plans une beauté indiscutable alors même qu'aucun élément en lui-même ne l'est. Si l'on a parfois l'impression de suffoquer en passant de la boue aux excréments puis de l'urine au sang, la fascination prime sur le dégoût. Heureusement d'ailleurs que la photographie est en noir et blanc sinon le ressenti aurait été tout autre !
L'obscurantisme
Découvrant que les artistes, scientifiques et autres intellectuels de la planète sont torturés dans la Tour de la Joie, Goran Don Rumata décide de les libérer du joug du propriétaire des lieux. Quand on voit les atrocités commises par le bourreau en question, on comprend aisément que Don Rumata décide de lui régler son compte. Pour autant, le dieu armé d'une épée s'avère lui-même peu enclin à l'empathie et n'hésite pas à frapper ses adorateurs.
C'est alors que le réalisateur dresse un portrait très sombre de notre société en démontrant l'incapacité des dominés à se révolter en raison de leur ignorance, tout en dénonçant leur auto-suffisance complice. En tranchant des oreilles, Don Rumata exprime l'idée selon laquelle il ne sert à rien de chercher à élever une société qui a atteint le summum d'inculture. Guerman ayant vécu la transition de l'URSS communiste vers la Russie capitaliste, il n'est pas très difficile d'entrevoir une critique acerbe à l'égard du gouvernement de Poutine.
Film unique en son genre, Il est difficile d'être un dieu marque profondément la rétine (mais pas seulement) de son spectateur. Œuvre atemporelle par sa forme mais pourtant tellement juste aujourd'hui dans son propos, cette plongée dans la matière mérite d'être vécue.