D'ores et déjà le meilleur film de l'année 2015
Le scénario... Alors, comment dire ? La Terre a colonisé une planète où a eu lieu une révolution antitechnologique. Les gens vivent comme au bas moyen-âge, les savants sont pourchassés et noyés dans les latrines. Il y a un hobereau, Goran don machin, qui en accueille plutôt que de les tuer. Parfois les gens l'appellent Dieu, peut-être à cause des reliques de son père, dont on saura peu de choses. C'est la meilleure épée du royaume, qui d'ailleurs connaît une révolution de palais, remplaçant un roi sadique et fou par un dégénéré gros, pervers et lâche. A un moment, Goran va chercher un savant, Budack, dans la Tour de la Joie (enfin je crois), un palais de l'Inquisition. Il en profite pour sauver Baron, un colosse, mais ce dernier se fait tuer en faisant le con. Bon, et l'arbalétrier ivre, à un moment, tue la concubine de Goran, pour que ce dernier se mette en guerre contre je ne sais plus qui (les Noirs, les Gris...), et il en résulte un carnage inutile. A la fin, Goran, vieilli, tondu, se joint à une troupe ambulante et joue du hautbois-saxophone.
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Je n'avais rien lu sur ce film, j'avais juste vu un extrait sur internet et oui, je me suis dit qu'il fallait à tout prix que je le vois. POur découvrir qu'il faisait 3 h, mais je ne les ai pas senti passer. Je me suis payé des barres de rire, mais je suis aussi sorti avec une nausée au ventre. Bref, un chef-d'oeuvre. ^^
Par où commencer ? Je n'ai pas lu le livre d'origine, mais cela n'a aucune importance, car les livres des Strougatski, pour en avoir lu deux, reposent aussi sur des intrigues embrouillées, où des personnages s'interrompent sans cesse les uns les autres, si bien qu'au final rien n'avance vraiment.
Bon esthétiquement c'est un peu comme si Belà Tarr rencontrait Mad Max, en mode Terry Gilliam fauché. Un noir et blanc magnifique, des cadrages fort beaux, des mouvements d'appareil élégants, quoique souvent en caméra portée, POV comme on dit chez les anglo-saxons. Des éclairages qui rendent fort bien les textures, et Dieu sait que c'est important, les textures, dans ce film.
Mais c'est filmé à la diable. Il y a tout le temps quelque chose qui passe devant la caméra pour cacher ce qui se passe : objets contondants (épée, croc de bouchet, gibet), carcasses diverses, saucissons pendus au plafond, cadavres dans des positions diverses. Le tout donne une impression d'agitation, de saleté et d'insécurité grouillante.
Car aucune scène ne peut se passer de manière "classique", avec un début qui instaure une tension, un milieu, une fin. Les dialogues sont souvent interrompus par des personnages qui font des regards caméras pour montrer, la bouche ouverte, ce qu'ils sont en train de manger, ou pour faire des grimaces. Il faudrait compter le nombre de fois où un acteur pète, crache, se mouche le nez sans mouchoir en appuyant sur une narine, recrache ce qu'il vient d'avaler, chasse des cafards de quelque chose qu'il s'apprête à manger salement, s'essuie la figure. Ce film a dû être très drôle à tourner, c'est un peu comme un enfant qui aurait fait un gros caca dans son pot et qui viendrait te le montrer tout fier : c'est touchant. Un peu vain, aussi, mais le cinéma est tellement standardisé aujourd'hui que même si au bout d'une heure on commence à lâcher prise, on veut voir la suite. Et à part la scatophilie, je pense que peu d'obscénités ont été oubliées dans ce film (enfin non, au niveau sexualités, c'est assez chaste, mais pour tout le reste...). Il y a même des transitions ridicules à base de dindons que l'on jète d'une scène à l'autre. Tout cela relève soit de l'escroquerie, soit de la blague à direction des cinéphiles. Personnellement, j'ai bien ri.
Pour en revenir à la caméra, beaucoup de personnages s'adressent à elle, ou la bouscule, comme si elle donnait la vision d'un personnage à part entière, mais ce n'est pas utilisé comme ressort narratif. On brise le 4e mur pour le plaisir, sans bien savoir ce qu'on fait.
Les décors et les accessoires sont sublimes. Les entrées de ville avec leurs cahutes, leurs latrines. Les ponts de pierre au-dessous duquel broutent les vaches, au bord d'un ruisselet rachitique. Les épées, les chaises percées (un thème récurrent) couvertes de... truc que l'on nettoie d'un grand seau d'eau, les intestins qui sortent des cadavres, les cages en fer pour les prisonniers, les casse-tête hérissés de clous, les chaînes, les fontaines remplies d'eau boueuse, les pêcheries aux eaux pas nettes, les couloirs aux départs d'escaliers louches, tout cela est magnifique. Et la boue. Ce film est une véritable encyclopédie des textures de boue et des types de crachin et de brouillard cafardeux. Chapeau bas, et mes compliments aux acteurs, que j'imagine se préparer pour le tournage en se crachant mutuellement dessus et en se versant des seaux de boue sur la tête. A côté, les personnages de Sergio Leone sont des mannequins de mode. Gros, difformes, amputés cohabitent harmonieusement dans cet écosystème si particulier. Les trois quarts des acteurs ont l'air à un stade avancé d'alcoolisation, et je pense que dans beaucoup de scènes, ils improvisent à partir du script.
Ha, et j'étais déçu qu'on ne voit pas plus de rats. ça manquait. Quant à la violence, elle est traitée de manière elliptique, et l'on voit les trucages à 2 km. Il est parfois difficile de savoir si ce que les gens ont sur le visage est du sang, de la boue ou de la merde. Parti pris esthétique lourd de sens. Et mention spéciale à l'estrapade dotée d'un phallus géant pour empaler les putains, magnifique idée.
Je vais m'arrêter, car je sens que je ne rend pas suffisamment justice au film. Je me contenterai donc d'une formule. "Il est difficile d'être un Dieu" est à la fois une orgie visuelle, une expérience (très) limite et une arnaque scénaristique. Dans les trois catégories, le film mérite l'admiration.
Vu au Reflet Médicis.