Ozu aimait filmer les petites gens, cherchant à traduire leur intériorité par des moyens purement cinématographiques : un train, une rivière, sont des symboles de la vie qui se poursuit, une photo est un symbole de mort, une théière fumante représente la chaleur perdue de la mère décédée... Il invite ainsi le spectateur à aiguiser son regard, pour percevoir, au-delà des apparences, ce qui se joue à l'intérieur des personnages. Délaissant les rares scènes "d'action", ici la noyade, pour ne pas dévier de son ambitieux projet, Ozu ne fait aucune concession : il ne montre que des scènes banales, à charge pour le spectateur de les déchiffrer. Je pense ici à Bruno Dumont, l'un de mes réalisateurs favoris (avant qu'il passe au burlesque), expliquant que les paysages, filmés longuement, traduisent l'intériorité des personnages.
Pur plaisir de cinéphile car les plans d'une sidérante beauté se succèdent. Quel art du cadrage ! Voyez simplement les premières images... La géométrie y est omniprésente - ce qu'on retrouve aussi chez Mizogushi : colonnes, piquets, fenêtres, carreaux, parapluies, rangées de jeunes garçons... permettent de composer des plans inoubliables.
Autre caractéristique d'Ozu, ces fameux plans "vides", souvent de nature, permettant de réaliser des transitions dans l'histoire : un champ de blé, une rivière, un mur troué de fenêtres sombres... Ici, Ozu en profite pour réaliser des ellipses dans l'histoire, ce qui lui permet de couvrir une vingtaine d'années en une petite heure et demie. Très efficace. Il y a aussi cette manière de poser sa caméra au sol, qui opère un charme puissant.
Parmi tant de joyaux, mes scènes préférées restent celles de pêche, avec ces mouvements de cannes synchronisés qui traduisent la proximité (apparente) du père et du fils. Génial. Je recommande l'analyse qu'en fait Jean Douchet dans le bonus du DVD. Passionnant.
Ce père était-il un bon père ? Chacun est invité à se positionner. En ne servant qu'un discours moralisateur à son fils, il se conforme à la volonté de l'Etat en cette période de guerre (le scénario a été réécrit pour mieux exalter encore le devoir patriotique, une obligation à l'époque), mais passe à côté de l'essentiel : l'affection que lui réclame son fils tout au long du film, et qu'il s'avère incapable de lui donner. Le rôle du père sans doute, de pousser l'enfant à voler de ses propres ailes, dira le psychanalyste. Le drame ici réside dans l'absence béante de la mère. Peut-être est-ce cette mère que cherche ce fils en sollicitant ainsi son père. Mais, dans le cinéma d'Ozu, chacun est à sa place. Le père ne peut remplacer la mère. En s'effaçant, par sa mort, il ouvre à son fils un horizon de tendresse, avec cette femme qui lui apporte, enfin, une famille à chérir. Magnifique.