Le dernier mot du western et le dernier mot de l'ouest

Vous souvenez-vous de la séquence où Jill, dans une diligence, rejoint son domaine de Sweetwater ? Ou si vous ne l'avez pas vue, pouvez-vous l’imaginer ? La diligence passe par Monument Valley. Monument Valley, c'est le symbole de l'ouest, et du western. Dans cette séquence, Leone devient l’égal de Ford. Il avait, dans Pour une poignée de dollars, premier volet de sa première trilogie, fait un geste comparable à Kurosawa. Alors qu’il reprenait son film presque plan par plan, en en modifiant un détail – le nombre de tués, et donc le nombre de cercueils nécessaires augmenté d’un, petite pointe d’humour et d’orgueil envoyée avec insolence au maître japonais. Ici, dans le premier volet de sa seconde trilogie, Il était une fois dans l’ouest, c’est à Ford qu’il envoie son clin d’œil. Il n’y a plus d’insolence, car plus de rapports de force.


Sergio Leone est passé par la petite porte, il a tourné ses premiers westerns en Espagne ou en Italie. En 1968, devant peut-être le plus beau spectacle naturel au monde, il est seul, au sommet de son art, et les américains sont loin derrière. Avec Il était une fois dans l’ouest, il signe un western qui aurait pu être, et qui a presque été définitif. De son genre, il est devenu la référence, et je me demande même s’il ne l'est pas, pour un court instant, tout simplement du cinéma.


Pour en écrire l’intrigue, il a fait venir deux autres grands italiens, Bernardo Bertolucci (Le Conformiste, Le Dernier Tango à Paris) et Dario Argento (Suspiria). Avec un concept complexe caché derrière un scénario simple, ils nous donnent Il était une fois dans l’ouest. Moins de dollars qu’avant, mais plus de pouvoir, et même de la politique. Leone y reconstruit deux mythes, deux mythologies - le ouest et le western. Il les sublime, et, quelque part, il les terminé aussi.


Alejandro Jodorowski (El Topo) et Sam Peckinpah (The Wild Bunch) n’ont pas le monopole des symboles au western. Par la voie ferrée, première et dernière image du film, il symbolise la fin du "wild west". Il en marque l’apogée et en donne le dernier mot. Maintenant, le western peut mourir tranquille. Des symboles, on en voit d’autres, dans la construction de la ville, dans l’harmonica, dans la dernière scène. Des personnages aussi, un peu d'archétypes, et beaucoup de mystère. Alors que l'on en avait qu’un dans Pour une poignée de dollars, deux dans Pour quelques dollars de plus et trois dans Le bon la brute et le truand, Leone en filme ici quatre.


Les quatre, les voici–
Charles Bronson, énigmatique, superbe dans le rôle de sa vie. On peut comparer l’homme à l’harmonica avec l’homme sans nom. Bronson avait été pressenti pour figurer dans Une Poignée. Eastwood avait été pressenti pour ‘Harmonica’. Le deux, stoïques, sortent du film comme ils y sont rentrés. Henry Fonda, intimidant, plus sombre, dans un rôle "against-type" en Franck, tueur glacial, et puis Cheyenne, que dire de lui, sauf qu'il nous est sympathique. Enfin, il y a Jill. Je n' ai pas vu d’aussi beau rôle féminin dans un western à part peut-être dans Johnny Guitar de Nicholas Ray, film qui, bien qu’exceptionnel, ne peut soutenir la comparaison. Dans la trilogie du dollar, il n’y avait pas de personnages féminins car elles n’y avaient pas de fonction. Ici, Jill est la clef de voûte du film. Leone offre à Claudia Cardinale un rôle magnifique. Ces quatre personnages, il les aime, et les travaille.


J’aime bien, lorsqu'il s’agit de décrire Le Bon la Brute et le Truand et Il était une fois dans l’ouest, de voir le premier comme un western spaghetti, le second comme un western. On peut surtout dire de Leone, dans chacun de ces films frères, mais pas jumeaux, qu'il s’impose comme un auteur, et qu'il sort du genre, quel qu'il soit. Ces deux films, centraux dans sa carrière, présentent chacun une séquence qui résume son génie. A deux ans d’intervalle, chacun ces deux films n'a pas de rival, excepté l'autre.


Ces séquences les voici -la dernière du Bon la brute et le truand et la première d’Il était une fois dans l’ouest. L’une, explosive, l’autre, silencieuse. Les deux –lentes, étouffantes ou étourdissantes dilatent le temps. Pas de son, sauf des gouttes qui tombent, une mouche qui vole, une machine à écrire qui déraille. Des personnages aux gueules implacables, le visage sale, suant, puant, en gros plan. Et on attend le train qui arrive de très loin. Le train arrive, puis s’en va, et on nous présente 'Harmonica'. Et puis, le son de Morricone –sifflant, cinglant, magnifique, assommant. Voici l’ouverture d’Il était une fois dans l’ouest. C’est pour voir ça qu’on aime le cinéma. Cette ouverture, c'est à la fois une évidence et un miracle. Une évidence parce que ça devait être fait au cinéma. Un miracle parce que ça n'a été fait qu'une fois.


A sa sortie en salle, le film n’a pas vraiment eu de succès. Pas d’oscar. On en a l’habitude, 2001 -L'odyssée de l'espace de Kubrick et La nuit des morts vivants de Romero ont été ignorés la même année. Le temps est l’ami des grands films, pas les oscars. Un bilan mitigé au box office également.Tout simplement parce que les américains n’aiment pas être dépassés sur leur terre. Et puis parce que le travail de Leone et de Morricone, avait assommé tout le monde, y compris la critique.


Voilà. Ce film je l’encense, j'en fait beaucoup, voire trop, comme avec d’autres, c’est vrai. Mais des films comme ça, il n’y en a pas d’autres. Sergio Leone a bien le monopole de quelque chose dans son art. Il ne nous a laissé que six films –si l’on fait abstraction de l’impersonnel Colosse de Rhodes –comme Tati. Mais quels films ! Il était une fois dans l’ouest est son quatrième. Je ne sais pas si c’est son meilleur, mais je sais que je n’ai pas vu de meilleur cinéma.

nmarinel
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le 25 juil. 2018

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nmarinel

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