La sale anecdote de l’auberge ardéchoise de Peyrebeille, ou l’auberge coupe-gorge, ou encore, bien évidemment, l’auberge rouge est, depuis 1830, devenue plus de l’ordre de la légende populaire que de la vérité historique. Quoi qu’il en soit, il s’y tramait des choses vraiment douteuses et on n’aurait pas voulu y passer la nuit. Depuis ce jour, l’histoire de l’auberge reculée dont les crapules de propriétaires volent et assassinent tous leurs clients a définitivement pris sa place dans notre imaginaire collectif, et, au même titre que Psychose d’Hitchcock, - bien que dans un tout autre registre - a hanté notre perception des hôtels (ou auberge, question de vocabulaire) situés à l’écart du reste du monde. C’est sur ce fait divers qu’Autant-Lara pose les bases de ce qui va être une drôle de comédie noire, et non sur le roman de Balzac du même nom, la confusion est pourtant bien tentante.

Le résultat est un bijou –oui un bijou, bien que celui-ci soit irrégulier et loin d'être élégant– d’humour noir, qui, malgré sa réalisation rugueuse, a un vrai et bel attrait. A joindre à sa matière première déjà fort appétissante qu' est l’auberge de Peyrebeille, les scénaristes ont ajouté beaucoup de sauce, avec deux bonnes idées. La première, c’est d’introduire la religion avec la venue du curé. La deuxième, c’est Fernandel.

Fernandel, moine pauvre au bel appétit qui fait l’aumône à l’aubergiste non pour le bon dieu, mais pour payer son manger et sa nuitée. Fernandel, qui se promène avec une boîte de verre d’or et de pierre à la valeur infime à côté du morceau de tibia de saint François qu’elle contient. Fernandel, qui détruit le fameux bonhomme de neige. Un plat explosif, drôle, extrêmement jouissif qui mélange religion, argent et crime. Tant de cynisme et de lourdeur dans le mauvais goût qu’on se rapproche du blasphème.

Deux bonnes idées donc, qui nous font aisément pardonner deux gros défauts. Fernandel, d’une part, qui avec sa gueule de cheval inoubliable nous fait oublier la faiblesse d’une distribution sinon plutôt irrégulière et au jeu grossièrement traditionnel. Et puis, d’autre part, l’esprit pointu du scénario, qui nous fait passer outre une histoire d’amour ridicule qui, comme d’autres, a bien failli irrémédiablement gâter la noirceur de son film. On voit dans une autre relique française, Les Visiteurs du Soir de Carné, un phénomène presque identique. Que voulez-vous, si même Prévert s’y met, que pouvons-nous faire ?

Je décris ce film comme je décrirais une breloque, car il est obscur, bon marché, asymétrique et si sordide. Et crasseux. C’est un effet difficile à décrire mais tout de suite perceptible. La crasse, elle est dans l’image. A l’exception du son, on se croirait aux premières heures du cinéma, tant l’image est brumeuse, noircie, vieillie, comme-ci on avait placé une vitre sale devant la caméra. Et rustique. De présentation, de réalisation et de style, ce film fait autrement plus vieux que ses contemporains. On pourrait croire que cela contredit sa témérité, mais cela ajoute plutôt à son mauvais goût, à la saleté du XIXème siècle. L’Auberge Rouge, je l’avais vu il y a 4 ou 5 ans, par hasard, il passe souvent à la TV, d'ailleurs, bien qu'à des heures impossibles. Je l’ai revu hier, cette fois dans sa version colorisée. Une fois n’est pas coutume, je ne vais pas être trop sévère avec ce concept de coloration autrement bien détestable. L’expérience y est, évidemment, complétement changée, et si cette coloration fut un succès, elle aurait nuit au film. Mais le résultat n’est plus noir et blanc, mais n’est toujours pas couleur. L’Auberge Rouge revêt une allure plus rudimentaire encore –on croirait voir les primitives aquarelles de Meliès. C’est artisanal, artificiel et donc surréel comme couleur. Plutôt remarquable. Enfin, dans le doute, je défends cette version noir et blanc, originale.

Voilà pourquoi voir ou revoir l’Auberge Rouge et un peu comme trouver ou retrouver une vieille breloque au fond d’un tiroir oublié, à la seule différence que celle-ci n’est pas à jeter, et que le cinéma, étant immatériel, a l’avantage de prendre beaucoup moins la poussière. Crasseuse, mais pas poussiéreuse, c’est une étonnante découverte, cette Auberge Rouge, qui, avec Eating Raoul de Paul Bartel et Monsieur Verdoux de Chaplin, complète l’improbable trio des films d’humour noir les plus exquis que j’ai eu –pour le moment– le plaisir de connaître.

nmarinel
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le 20 août 2018

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