Au 19e Siècle les époux Martin tiennent une auberge perdue dans les monts ardéchois et ont la mauvaise habitude d'assassiner leurs clients afin de les détrousser,avec l'aide de Fétiche,leur domestique noir,et de leur fille Mathilde,une jouvencelle aux allures de Sainte-Nitouche.Ils pensent décrocher le gros lot lorsqu'un soir d'hiver une diligence pleine de gens riches s'arrête chez eux,mais l'irruption d'un moine et de son novice va compromettre leurs plans.Cette histoire horrible s'inspire de faits réels connus,l'affaire de l'auberge de Peyrebeille,auxquels le film est très fidèle,à ceci près que le réalisateur-scénariste Claude Autant-Lara et ses coauteurs Jean Aurenche et Pierre Bost ont choisi de les traiter sous la forme de la farce macabre.Autant-Lara,grand cinéaste oublié,évite adroitement l'écueil du théâtre filmé qui aurait pu condamner cette histoire se déroulant entièrement dans l'auberge et filmée dans les studios de Boulogne,en shootant avec virtuosité et dynamisme des suites de plans fluides et précis dopés aux changements d'axes inspirés et aux mouvements d'appareils savants.Il est assisté d'une belle équipe technique comprenant l'immense Max Douy aux décors,l'excellent André Bac à la photo et René Cloërec à la musique,tandis que la complainte accompagnant opportunément les génériques de début et de fin est chantée par Yves Montand.Même si les situations sont souvent outrées et peu naturelles et que les comédiens flirtent parfois avec le surjeu,l'équilibre est généralement trouvé entre humour noir et âpreté dramatique,l'ambiance penchant toutefois vers la rigolade,certaines scènes étant irrésistibles,comme celle de la confession ou du moine à qui on sert du porc.Les dialogues sont brillants,Aurenche et Bost étant des pointures,et l'atmosphère d'époque bien reconstituée avec ces diverses classes sociales très différentes,le poids de la religion toujours présent et une sauvagerie loin d'être éradiquée.Tous les personnages existent puissamment,même si l'accent est mis sur le moine et le couple d'aubergistes,et le cynisme foncier d'Autant-Lara infuse la narration avec ces coups du sort incessants et ces erreurs stupides qui conduisent inexorablement les protagonistes à leur perte,une conclusion fatale à double détente venant clore le spectacle.Fernandel,juste avant d'endosser la même année la soutane de Don Camillo,exécute un numéro étourdissant dans la robe de bure d'un moine profiteur et trouillard plongé dans une situation inextricable.La maîtresse-femme Françoise Rosay et un Julien Carette rugueux à souhait sont fabuleux en serial killers sans scrupules.Parmi les voyageurs piégés on remarque Jacques Charon,essentiellement un homme de théâtre,en dandy décontracté,Grégoire Aslan en jouisseur jovial et Jean-Roger Caussimon en lord anglais tout en raideur.Quelques acteurs sont nettement en-dessous,à l'image de Lud Germain,caricatural en noir sous-développé,Marie-Claire Olivia,trop approximative dans son jeu malgré l'intéressant paradoxe entre son physique innocent et l'insouciante noirceur de ses actes,et Didier d'Yd qui confond novice et courge.A noter dans un petit rôle de gendarme la participation de Manuel Gary qui sera de nouveau au côté de Fernandel dans les "Don Camillo".Un remake est sorti en 2007 avec les comédiens de la bande du Splendid.