La complainte du troubadour

Il faut bien l'avouer, "l'affaire" ne se présente pas de la meilleure des manières : "L'auberge rouge" s'ouvre sur une complainte à la tonalité datée contant l'histoire de ladite auberge et des méfaits qui s'y sont commis.On peine derrière cette voix lointaine roulant allègrement les "R" à reconnaître la voix du barde qui commet le méfait, celle d'Yves Montand. Malgré tout, pour peu que l'on prête attention aux mots, les vers nous éclairent tout à fait (ou presque) sur les faits :

"Chrétiens, venez tous écouter
Une complainte véritable.
Celle de trois monstres inhumains, leurs crimes sont épouvantables.
(...)

L'auberge est sur le grand chemin
Où ils égorgeaient les humains.

Ces monstres avaient une fille
Toute pleine d'agréments,
Bien qu'elle soit si gentille,
Elle n'avait pas d'amant."

Connaît on beaucoup d'auberge,
Où du soir jusqu'au matin,
Une fille reste vierge comme la fille Martin?

Mais que vient donc faire ici cette fille, qui bien que gentille n'avait pas d'amant , et surtout le fait qu'elle reste vierge du soir au matin??!!
Involontairement probablement, la complainte donne le ton de ce que sera l'auberge rouge: une farce incongrue, anticonformiste et réjouissante.

Peyrebeille, Ardèche, au milieu du 19ème siècle : un troubadour portant fièrement son orgue de barbarie et accompagné d'un singe curieusement grimé (le maquilleur était probablement en manque d'inspiration), en plein périple hivernal, choisit de se reposer dans une auberge située sur son chemin. Mal lui en prend car l'auberge n'est en fait qu'un coupe-gorge, un repère de malfrats dans lequel opèrent les époux Martin et leur domestique. Il est rapidement occis, détroussé et camouflé dans ... un bonhomme de neige, alors que l'hideux petit singe réussit à s'enfuir.

Puis arrivent à l'auberge un moine (Fernandel) accompagné, lui de son jeune assistant (un moinillon), bientôt rejoints par les passagers d'une diligence dont le timon s'est cassé suite à l'apparition impromptue d'un ...singe.

Une diligence, une tempête de neige, une auberge salvatrice (en apparence), cela me rappelle vaguement quelque chose....Allô,Quentin ...?

Parmi les passagers de cette diligence, figure, heureux hasard encore, Mathilde Martin, la fille de la complainte donc, celle qui précisément le restera encore, (...), jusqu'au matin suivant. Tout ce petit monde trouve à l'auberge la chaleur,le pain et le réconfort dont il avait grand besoin... Jusqu'à ce que Mme Martin mère, ne se décide à confesser ses péchés, dans une scène assez magistrale, une grille à châtaignes fera office de grille de confessionnal sans toutefois réussir à dissimuler la stupeur qui se peint peu à peu sur le visage d'un prêtre décomposé .

Le film, jusqu'ici très agréable se transforme alors en féroce comédie noire, satire savoureuse de la bourgeoisie (ici les précieux sont définitivement ridicules), du clergé et même du couple.

Ce "supense vaudevillesque" doit il est vrai beaucoup à la faconde de Fernandel, servi par les merveilleux dialogues et le scénario polisson de Jean Aurenche et Pierre Bost. La réalisation d'Autant-Lara est très inspirée, impressionnante même dans l'organisation de l'espace et la construction de décors. L'auberge, authentique, rustique à la "silhouette" extérieure inquiétante et les paysages de neige de proximité furent entièrement conçus en studio.

Cependant, ce cynisme, cette impertinence ne furent pas du goût de tous, l'église tenta de faire interdire le film, quelques répliques moquant la maréchaussée furent retoquées par la censure.

Fernandel, fervent catholique marqua même son désaccord, lorsqu'il apprit en cours de tournage que l'adaptation de l'Auberge rouge de Balzac pour laquelle il avait signé, avait été détournée et s'était muée en une satire noire inspirée d'un fait divers (le producteur lui même ignorait "le détournement"). Il fera acte de contrition, l'année suivante, en interprétant pour la première fois Don Camillo, un prêtre à la moralité exemplaire,certes un peu impulsif, mais toujours bienveillant.

Le film rencontra malgré tout un beau succès populaire, et il faut bien reconnaître que L'Auberge rouge conserve aujourd'hui encore tout son charme. Et puis comment résister au plaisir pour terminer de citer la morale de la complainte qui clos également le métrage :

"Moralité!
Que cette sanglante affaire,
Pour vous, serve de leçon :
La vertu vous sera chère et Dieu pour vous sera bon."