Œuvre testamentaire, Il était une fois en Amérique, au-delà de toute considération subjective, est objectivement l’œuvre la plus personnelle et la plus intimiste de Sergio Leone.
Dernier maestro du western, le cinéaste italien s'attaque à ce qui était son genre de prédilection, l'univers et l'imagerie qui faisait fantasmer le petit romain devant les œuvres de Howard Hawks et de Raoul Walsh.
Bien plus qu’un simple film de « gangster », Leone accorde le genre à son style et à sa narration si novateur et si unique. La mythologie si bien incrustable dans l’épopée du Far West est transposée à une époque bien plus contemporaine. Les hommes sans nom tels que Blondin ou l’Harmonica sont définis, incrustés dans un monde civilisé. Cependant ce qu’ils représentent restent du domaine de l’archétype, de l’imagerie, d’où le désarroi que ce film est capable de susciter.
Les codes du genre sont déconstruits, la mythologie du gangster est revisitée. Il n’est pas question d’un Corleone corrompu par le pouvoir et de l’implication que cela représente mais d’un simple petit voyou, sans désir de grandeur, suspendu dans sa propre imagerie personnelle de ce que représentent l’amitié, l’amour, et la vie de façon générale.
Si l’on peut trouver à redire sur certaines astuces narratives (la courte intrigue introduite sur le commissaire de police qui est aussitôt évacuée par exemple), on ne peut qu’être admiratif de la narration extrêmement complexe, faite de flashback, comme réminiscence du vieux Noodles sur l’ensemble de sa vie.
La réalisation de Leone n’aura jamais été aussi ambitieuse. Ses plans et son découpage mettent en relief l’éclatement que représentent le temps et la narration; l’on passe d’une superbe sonnerie de téléphone interminable à une ellipse de dizaine d’années. Le jeu d’acteur, en particulier ceux de Robert de Niro et de James Wood, est parfait. La musique d’Ennio Morricone y est sublime.
Mais ce qui définit ce film comme un véritable chef d’œuvre est le lien que crée Léone entre l’imagerie du cinéma et l’imagerie de la vie. La place des femmes comme archétype du genre (la femme fatale et la femme amoureuse) résonne de la complexité que représente la femme pour un homme (l’accord sans fin mais impossible de la maman et de la putain), Deborah n’étant aussi bien pour Noodles comme pour le spectateur qu’une imagerie de l’amour inatteignable. La quête de pouvoir, représentatif du genre, se confronte à la limite de l’amitié face à la réalité de la vie. Noodles définit la représentation symbolique la plus aboutie de ce qu’est le spectateur. Ce dernier étant limité par l’imagerie que lui impose un film tout comme Noodles subit sa vie face à l’imagerie qu’il s’en représente...
Un film profondément mélancolique, profondément pessimiste, parsemé de l’anarchisme politique si prompt à Leone (sur le syndicalisme, le pouvoir…) ; une œuvre qui sera sans doute hermétique pour les plus joyeux et les plus optimistes d’entre nous mais qui résonnera pour d’autres comme un film profondément poétique; une recherche du temps perdu étendu comme un voyage au bout de la nuit…