Il est d'usage de laisser de côté Il était une fois la révolution lorsque l'on évoque la filmographie – pourtant courte – de Sergio Leone. Enième western réalisé dans l'attente du financement de son autobiographie proustienne et cinéphile (Il était une fois en Amérique), cette révolution n'est clairement pas le film le plus aimable du cinéaste. Je dois pourtant admettre qu'il s'agit probablement de mon préféré. Alors oui, je prends sans doute plus de plaisir à revoir Le Bon, la Brute et le Truand dont le côté film d'aventure superbement rythmé le rend beaucoup plus divertissant mais Il était une fois la révolution est celui qui m'émeut le plus et me semble le plus aboutit.
Le film s'ouvre sur le braquage d'une diligence mené par Juan, comme un rappel des précédents westerns comiques de Leone, pour mieux dévier dès la rencontre avec John vers quelque chose de totalement différent. Obsédé à l'idée d'utiliser la dynamite que possède John pour pénétrer la banque de Mesa Verde, Juan se retrouve embarqué malgré lui, avec toute sa famille ainsi que John, dans des événements historiques bien trop grands pour eux du côté des révolutionnaires mexicains. Alors que le cinéma italien est en plein essor et qu'il se fait l'écho de la situation sociale de l'époque marquée le souffle révolutionnaire, Leone, plutôt que de suivre le pas, réalisé un film en total décalage avec son époque, ce qui n'est sans doute pas étranger à son impopularité. Ici, pas de révolution glorieuse, de libération des peuples ou de grandes idéologies. Il montre l'envers du décor, la réalité du terrain. Comme le dit Juan, reformulant ainsi plus ou moins la citation de Mao placé en exergue, la révolution consiste toujours à voir certains lettrés demander aux plus faibles de se faire massacrer pour la bonne cause, les premiers finissant toujours pas régler cela tranquillement autour d'une table.
Leone utilise sans doute son expérience personnelle dans le personnage de Juan et son enfance durant la seconde guerre mondiale. D'ailleurs, les multiples références au nazisme et au fascisme qui parsèment le film, que ce soit dans les tenues ou les scènes d'exécution, ne sont certainement pas fortuites. Il refuse constamment d'héroïser le moindre comportement dépeint. L'exemple le plus frappant est celui du personnage de Romolo Valli. Leone refuse de le condamner moralement malgré sa trahison mais refuse également de valoriser son sacrifice. Pas de héros, pas de rachat possible, pas vraiment de salaud, le monde dépeint par Leone est un univers incertain où chacun finit broyé par l'Histoire, qu'il le veuille ou non.
Mais au delà de ce contexte mis en scène, c'est bien sûr l'évolution des deux personnages principaux qui est la plus intéressante. A travers cette amitié virile, aussi vite détruite qu'elle aura mis du temps à se bâtir, Leone montre comment la grande Histoire finit toujours par recouvrir la petite. Malgré ses refus incessants, Juan se retrouve enrôlé parmi les insurgés et fini par se prendre au jeu, devenant, par un jeu de circonstances, un héros de cette révolution qu'il exècre. Mais cela se fera au prix d'énormes sacrifices.
Et il y a John, le personne de James Coburn, clairement le plus intéressant et le plus émouvant. Révolutionnaire irlandais engagé dans l'IRA et qui tente de se faire oublier et d'oublier son passé après que celui-ci ait mal tourné, il se retrouve embarqué à nouveau dans une révolte et semble revivre la même histoire. Chaque fois qu'il tente de fuir la situation, un événement semble lui barrer la route. Hanté par le souvenir de l'amour et de l'amitié perdu, il finit lui aussi par se laisser (re)prendre au jeu, comme pour conjurer le sort et se libérer des souvenirs qui le hantent.
Mais encore une fois, pas de rédemption possible pour Leone dans ce qui est sans doute son film le plus pessimiste. L'Histoire détruit tout : femme, enfant, idéaux, amours et amitiés, et il est impossible de lui échapper. Que ce soit Juan, le bandit anarchiste ou John, le terroriste rangé des affaires, tous sont rattrapés par le cours des événements.
Le film s'achève sur ce qui est sans doute la plus belle séquence de l'oeuvre de Leone, le flashback final de John. Totalement ambiguë, il nous montre John, la femme aimée et son ancien ami révolutionnaire, Sean, ensemble et heureux dans une sorte de ménage à trois consenti. On ne sait que penser de cette scène au ralenti exagéré et qui semble presque fantasmée, sensation renforcée par le sourire énigmatique de Coburn qui la clôture. Ultime sourire face au souvenir d'un temps heureux révolu ou pensée émue face à ce que la vie aurait pu être si les choses avaient été différentes ? Rien que pour cette scène, le film mérite d'exister.
Un dernier mot enfin sur le titre du film. Leone voulait l'appeler « Il était une fois la révolution », ce qui ne lui sera permis qu'en France. En Italie, le film se nomme « Giù la testa », soit « baisse la tête ». Il s'agit pourtant d'un meilleur titre, totalement en accord avec le film. Comme Leone lui même l'a expliqué en interview, Giù la testa a un double sens. Il se réfère bien sûr à ce que dit Coburn à Steiger avant de faire exploser la diligence, mais l'expression signifie aussi « courber l'échine ». Comme si Leone donnait sa solution, cynique, face à des événements comme ceux qu'ils dépeints. Il n'y a rien d'autre à faire que de courber l'échine, et d'attendre que ça passe.
https://www.youtube.com/watch?v=Dww42UQQC9M