Michel Legrand a très vite estimé que l'école était une perte de temps qui l'empêchait d'être assis à son piano. Sans doute peu d'enfants éprouvent cela.
Très jeune au conservatoire il se révèle surdoué et son intraitable professeur Nadia Boulanger lui refuse plusieurs années de suite son diplôme de fin d'études afin de le garder parmi ses élèves. Le film s'intéresse très peu à sa vie privée et c'est tant mieux, il évoque son parcours de musicien (chef d'orchestre, pianiste, chanteur, compositeur) depuis sa toute jeunesse jusqu'à son dernier concert en décembre 2018 à la Philharmonie de Paris. Il mourait en janvier 2019 et c'est la musique qui lui a donné jusqu'au bout son incroyable vitalité. Il ne craignait pas la mort mais redoutait de perdre le goût de la vie. Ce film en témoigne et je l'ai savouré avec les yeux, les oreilles et le coeur et souvent un sourire de bien être et de contentement.
Tout comme Ennio Morricone, Michel Legrand est un artiste que je regrette de ne pas avoir vu sur scène. Heureusement nous avons accès facilement à l'écoute de son oeuvre et l'on réalise en voyant ce documentaire à quel point elle est considérable. Je ne m'imaginais pas qu'il avait composé plus de 200 musiques de film. Du jazz à la variété en passant par la musique de film, aux arrangements et la composition de deux opéras et ballets ainsi que de deux concertos, c'était un artiste, un musicien complet, éclectique et fascinant. Un maestro génial parfois excessif et exigeant mais qui toujours s'amusait. "Je me suis amusé comme un bébé" exulte-t-il à la fin d'un concert alors qu'on le retrouve épuisé dans sa loge à plus de 80 ans. Ses fructueuses collaborations vont de Miles Davis, Jacques Demy, Charles Aznavour, Barbra Streisand, Claude Nougaro, Nana Mouskouri à Natalie Dessay, mais pas uniquement et le réalisateur en fait un tour le plus exhaustif possible.
En immersion totale dans un voyage cinéphile et musical ces presque deux heures énergiques, souvent festives et finalement émouvantes sont un régal. Une chose est sûre, il est impossible d'écouter une play-list de Michel Legrand sans reconnaître les notes, le style, le lyrisme, les chansons et les airs connus qui accompagnent la partition de notre vie. J'aime ce que dit Stendhal : "La bonne musique ne se trompe pas et va droit au fond de l'âme chercher le chagrin qui nous dévore", elle va le chercher et l'en extirpe ne serait-ce que le temps d'un film. C'est déjà ça, c'est déjà beaucoup. Et il n'est pas impossible de se laisser emporter par le tourbillon de l'émotion.
Des extraits d'interviews, des témoignages, de nombreux extraits de films, des enregistrements, des répétitions rendent ce film vivant et passionnant entrecoupés parfois par les mouvements d'humeur et les traits d'humour du maestro.
Michel Legrand affirmait se moquer éperdument de la postérité, on le croit aisément mais ses compositions ont toutes les qualités pour faire de leur auteur un musicien majeur des XXème et XXIème siècles.
David Hertzog Dessites a filmé Michel Legrand pendant les deux dernières années de sa vie. On ne peut que le remercier de nous laisser approcher cet éternel enfant de génie.