Legrand faiseur
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le 30 nov. 2024
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-Et que faites-vous quand vous ne travaillez pas ? Vous vous ennuyez ? -Si je m’ennuie ? Je travaille.
Nadia Boulanger repère Michel Legrand, cet élève au talent irradiant : elle le suit pendant cinq ans et lui transmet l’exigence, ce supplément qui le différencie de ceux qui se contentent d’harmonie et de rythmique. Aux autres, elle délivre un diplôme. À la manière de Monsieur Matustchek lorsqu'il remet à Alfred Kralik, dans "The shop around the corner" de Lubitsch, son employé de toujours, une lettre de recommandation en le congédiant sans motif apparent.
La musique qui coule dans ses veines -un gène paternel, le travail et les rencontres font de Michel Legrand la légende que l’on sait. À l’aura internationale et transversale, car il est un artiste complet. Chanteur, parolier, musicien classique et de jazz, pianiste virtuose, chef d’orchestre de chambre et symphonique, compositeur, monteur, arrangeur. Le documentaire de David Hertzog Dessites ravive ce destin exceptionnel. Des coulisses grandioses et magistrales dont chaque étape est une invitation à se renouveler, à se dépasser, à oser. Zone de confort: bye bye.
Il y a les musiciens de jazz : Dizzy Gillepsie, Oscar Paterson, Miles Devis, John Coltrane, Frank Sinatra, Tony Bennett. Legrand mêle improvisation et académisme. Il développe une agilité inégalée.
Il y a les cinéastes. Ceux de la Nouvelle Vague et le premier d’entre eux, le favori, compagnon de toutes les audaces : Jacques Demy avec lequel il trouve son terrain de jeu, compositeur de musiques de films. C’est joyeux, les comédies musicales sont doublées jusqu’au Japon. Jean-Paul Rappeneau dévoile des secrets de tournage les yeux tout embués. Des années après, le réalisateur ne cache pas son émotion lorsqu’il explique comment la musique de Michel Legrand raconte ses histoires et l’a consacré cinéaste. Claude Lelouch qui ne passe pas sous silence l’ego de l’homme. Ça en valait la peine, un tel ego, quand on réécoute la bande-originale des « Uns et des Autres ». Géraldine Chaplin chantant « Un parfum de fin du monde » en duo avec Manuel Gélin. J’ai tellement écouté cette chanson, à m’en assourdir les tympans. Sans les cafés, les gares, comment faire pour se retrouver, demain ? Et sans Michel Legrand ?
Ce n’est pas Yentl que je garde en mémoire, c’est le duo Chaplin-Legrand, pourtant Yentl fait l’unanimité dans ce documentaire. Yentl c’est une complicité entre deux superstars, Michel Legrand et Barbra Streisand. Il semble d’ailleurs que les collaborations se transforment en une proximité définitive et inaltérable avec Legrand, que d’aucuns comparent pourtant à un tyran aux humeurs changeantes. Caractériel tout autant qu’élogieux : Legrand élève, perfectionniste et altruiste de son succès. S’il brille, il fait en sorte que ça rejaillisse. Le documentaire le filme en train de composer. On le sent habité. Il évoque volontiers ces entités mystérieuses qui poussent à la création sans même qu’il soit besoin d’être présent. Parfois sur scène, au piano, Michel Legrand s'estime guidé, ce n’est plus tout à fait lui, il lui suffit de s'en remettre. Disponible. On le découvre dans l’intimité, en compagnie d’Agnès Varda, de Macha Méril, de ses enfants. Il a fait plusieurs fois le tour du monde, mais loin de la France, il déprime et la mort le hante. Non pas la mort mais l’idée de ne plus pouvoir vivre et s’amuser. Première dépression alors qu’il réside à Hollywood. Cela ne l’empêche pas de remporter trois Oscar. Le documentaire est touchant, sincère et malicieux, lorsque le réalisateur David Hertzog Dessites entame un travail d’équipe avec le maestro. Pas facile d’être à la hauteur -clin d'oeil.
Et puis il y a ce concert à la Philarmonie de Paris, le dernier. Dont tous les protagonistes, jusqu’au moment de rentrer sur scène, ignorent si Michel Legrand, très affaibli, honorera ou pas le rendez-vous. Tout en se rappelant que l’homme, certes génie, est avant tout cet enfant fanfaron, lui qui n’a pas connu l’enfance, et que son public le transcende. L'illumination se produit, ce soir-là. Les longues mains aux doigts déliés volent sur le clavier, le concertiste nous grise au vertige.
Un document mémorable, monté avec autant de délicatesse dans la vérité délivrée, que d’intelligence dans le choix des moments artistiques convoqués, et leur enchaînement. La partition est parfaite. À travers Michel Legrand, c’est l’histoire de la musique et du cinéma que l’on revisite, française, européenne, mondiale. Et l’histoire universelle des émotions et des grands frissons.
David Hertzog Dessites a réussi à rendre Michel Legrand immortel et à faire de lui un passeur artistique parmi les plus éminents, et inspirants.
Créée
le 9 janv. 2025
Critique lue 5 fois
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