Générique en géorgien, dialogues en russes. Longtemps interdit à l'exportation, ce film est historiquement inclassable pour des raisons qui dépassent sa condition géographique. L'identité géorgienne, à l'abri de son Caucase, a toujours été assez indépendante. Le merle chanteur de Iosseliani colle très bien à cette idée d'une nation qui est certes une République soviétique, mais avec un fort caractère.
Le Tbilissi qu'il représente est une ville multifacettes, qui prend grâce au montage des airs de véritable mégalopole européenne dans l'air de son temps. Art, culture, science, médecine, sport, cinéma, soif de connaissances, c'est une cité de la jeunesse en perpétuelle construction et en effervescence. On y rencontre ses amis dans des bars, dans la rue, dans les transports en commun (gratuits), et on peut s'occuper à flâner – à traîner, comme on dit aujourd'hui. Destination de villégiature pour les Russes (les vrais), c'est une cité communiste futuriste.
Le personnage principal, Guia, est de cette nouvelle espèce de jeunes. Paresseux mais toujours occupé, adulte mais attaché au rythme de vie d'un adolescent, évaporé mais sérieux, solitaire mais social, il est l'engeance improbable du baby boom dans le Caucase.
Le plus étonnant est de ne pas sentir de limites. Le film pourrait être tourné sur cent mètres carrés puis en studios que cela ne changerait rien à cette sensation d'infinie liberté et de légèreté de la capitale géorgienne. Cette impression est aussi celle qu'on aurait produite par la propagande, en voulant montrer une ville soviétique qui sait vivre avec son temps.
D'ailleurs, le film n'est pas tout de suite sorti d'URSS. Fallait-il entretenir l'illusion d'une nation uniforme à l'extérieur de l'Union ? Le concept d'une ville exceptionnelle en son sein était-il réservé aux Russes, pour leur montrer plus ou moins discrètement que leur pays était capable de variations ? Après tout, Iosseliani a émigré en France dès qu'il l'a pu…
Très mystérieuse, l'œuvre tient également haut la main son rôle de simple documentaire. Elle fait découvrir Tbilissi en 1970 sous une forme presque épanouie, bien loin de l'idée qu'on se fait de l'austérité du bloc de l'Est. De se dire qu'elle en a vraiment fait partie, c'est une curiosité qu'il faut choyer.
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