Commençons par ce qui a déjà fait couler beaucoup d’encre : l’immense succès de C'è ancora domani en Italie l’année dernière. Le film y a en effet dépassé les 5 millions d’entrées (pour un pays de 58 millions d’habitants), devenant le plus gros succès de l’année devant les mastodontes Barbie et Oppenheimer, mais dépassant également la marque historique de La vie est Belle de Benigni.
Près d’un italien sur 10 a vu le film, c’est absolument colossal !
Ce succès transalpin est d’autant plus extraordinaire qu’il s’agit d’un premier film, celui de l’actrice Paola Cortellesi – jusque-là pas vraiment identifiée du grand public –, sans casting XXL, et au budget restreint d’un peu plus de 5 millions d’euros (ce qui est franchement peu pour un budget de long métrage).
Derrière ses faux airs de néo-réalisme, de comédie italienne des années 50 ou 60 à la Vittorio de Sica, à la Fellini ou Rossellini, se cache en réalité une comédie dramatique extrêmement moderne.
Il reste encore demain plante son décor à Rome, dans l’Italie d’après-Guerre, à une époque charnière où la femme commence à s’émanciper de l’autorité de son mari et des préjugés machistes de la société.
Ailleurs, peut-être. Mais la pauvre Delia, elle, vit encore à la botte de son mari violent et colérique, Ivano. Cumulant les petits boulots, sa fonction principale est à la cuisine et à l’éducation de leurs enfants, la jeune et belle Marcella, fille ainée de la fratrie, et les deux terreurs qui lui tiennent lieu de frères, des rustres qui filent le mauvais coton de leur père.
Pourtant, tout est sur le point de peut-être basculer quand Marcella annonce ses fiançailles avec un beau garçon, fils de notables de la ville. Et avec ce mariage, la promesse d’une dot sans doute conséquente. Voilà que toute la famille se met à rêver d’un avenir meilleur…
Le magnifique noir & blanc du film, on le doit au talentueux directeur de la photo Davide Leone (à ceux que ce nom interpelle, j’ai cherché mais je n’ai trouvé aucun lien de parenté avec le grand Sergio), qui avait par exemple travaillé sur l’image de Mektoub My Love de Kechiche.
Quel est le point commun entre Argo de Ben Affleck, Lost River de Ryan Gosling, Un frisson dans la nuit de papa Eastwood, et Il reste encore demain ? Ce sont tous des premiers films, certes, mais leurs auteurs endossent chaque fois une double casquette de réalisateur-acteur.
Paola Cortellesi tient ici aussi le premier rôle de son propre long métrage. On doit reconnaître que l’actrice a su trouver la distance nécessaire pour opérer des deux côtés de la caméra : d’un côté sa réalisation est méticuleuse et particulièrement soignée, la composition des plans est réfléchie et certains effets de mise en scène surprennent tout en nous amenant un sourire aux lèvres. De l’autre, sa prestation d’actrice fascine. Tantôt animal apeuré, femme sensible et blessée par les gestes et les paroles de ses proches ou de ses amies ; tantôt femme forte, moderne et pleine de volonté, prenant son destin à bras-le-corps.
Il reste encore demain est un beau récit d’émancipation, un « hymne à la liberté » comme dirait l’affiche, une fable politique qui explose pour finir dans une apothéose puissante et surprenante. C’est bien dommage que le film, sorti en France par Universal, peine à rencontrer son public (à peine plus de 200 000 entrées en deux semaines) de ce côté-ci des Alpes. Alors ne le ratez pas : c’est l’une des petites claques de ce début d’année !