Déjà grande admiratrice du Philippe Claudel écrivain (notamment auteur des très beaux La petite fille de Monsieur Linh et Les âmes grises), j'avais très envie de découvrir son travail de réalisateur et de scénariste.
Une petite mise en garde : ne lisez pas ses livres, ne regardez pas ses films si vous avez le moral en berne. Clairement les ambiances, les histoires, les situations qu'il fait naître donnent envie d'ouvrir la fenêtre et de sauter. En revanche, c'est magnifique. Le gars a le sens des blessures qu'on tait par pudeur, des silences coupables et des non-dits étouffants.
Je voudrais d'abord ici commencer par saluer sa direction d'actrices, Elsa Zylberstein bien sûr, toujours aussi juste et vraie dans le moindre de ses regards embués - la scène du téléphone et ces larmes qui roulent sont d'une justesse poignante - mais surtout, surtout l'immense Kristin Scott Thomas.
Découverte enfant dans Four weddings and a funeral, son élégance à l'anglaise, la distinction naturelle de ses mouvements, son incontournable cigarette et sa voix grave, ont marqué à tout jamais ma vision (assez fatale) du féminin.
Je la retrouve 14 ans plus tard dans ce film bouleversant où éclatent si fortement son talent, sa vérité, sa retenue - son impeccable justesse jamais teintée de pathos ou de mièvrerie. Si elle occupe la totalité de l'affiche d'Il a longtemps que je t'aime, c'est que l'oeuvre tourne entièrement autour d'elle, et mettra un certain temps avant de la laisser dire ce qu'elle est, dévoiler ses mystères et les secrètes raisons de l'acte terrible qu'elle a commis.
Je ne spoilerai pas, n'ayez crainte. J'ai eu trop de plaisir à aller vierge vers cette oeuvre pour vouloir gâcher le vôtre en révélant la clé de voûte de son scénario. Je dirais seulement qu'il y a une scène où pour moi il est impossible de ne pas pleurer. Une scène déchirante, incroyablement interprétée par ce duo de soeurs incandescent, tellement émouvant, auquel il est si facile de s'identifier, que les larmes montent toutes seules.
J'ai aimé ces portraits de femmes cherchant à recréer la connivence qui les a unies, les reproches qu'elle voudraient, pourraient se faire, les tentatives de susciter les confidences, et puis les rires qui fusent malgré soi - parce que s'être connus et aimés enfants générera toujours entre les êtres une incompréhensible et magique alchimie qu'aucune tragédie ne saurait gommer totalement.
Il y aussi cette présence filée, discrète et belle, de la littérature - par cet universitaire spécialiste de la correspondance amoureuse, par ces livres sensuellement caressés dans lesquels on se plonge pour échapper à la cruauté du monde, qu'on dresse comme autant de protecteurs remparts autour de soi.
Quelle empathie dans la caméra de Philippe Claudel, que de superbes moments de vérité il parvient à capturer - surtout quand Juliette éclate, explose, hurle, son visage qui se convulse puis se trempe de larmes - on se croirait soudain au théâtre quand se réalise la catharsis.
Quelques petits détails m'ont un peu freinée : la musique (ces insupportables notes de Jean-Louis Aubert qui viennent et reviennent) et certaines facilités scénaristiques un poil clichées comme les scènes en famille ou entre amis (forcément près d'une cheminée, dans une verte campagne avec les gosses qui rigolent..).
Autrement, ce film est à l'image de son titre : à la fois beau (la photographie par moments est absolument magnifique et reflète parfaitement les états d'âme des personnages - tantôt grises, tant solaires), simple dans sa mise en scène mais offrant aux actrices l'occasion de faire éclater la justesse de leur talent dramatique.
Enfin, cette scène de fin dont je ne dirais rien, cette brisure nette qui se fond ensuite dans les mots sublimes de Barbara (repris par Aubert) et son Dis, quand reviendras-tu ?
D'aucuns railleront sans doute encore mon goût immodéré du cinéma français actuel : que voulez - vous, c'est à nouveau un coup de maître qui prouve - si besoin en était - que l'Hexagone recèle bien de magiques regards dans son 7ème art.