C'est toujours un étonnant spectacle que de voir une floppée d'acteurs sans liens inhérents s'accorder pour jouer une œuvre cohérente. Xavier Giannoli arrive à raccorder cette bande fort talentueuse en mêlant finesse (Cécile de France, Benjamin Voisin, Xavier Dolan) et panache/rudesse (Depardieu & Lacoste) avec une agréable fluidité. On y trouve un Dolan-acteur bluffant de sagacité -comme si ses talents de réalisateur ne lui suffisaient pas-, narrant le récit 2h20 durant sans jamais laisser paraître un soupçon de parlure québécoise et s'appuyant davantage sur le vocabulaire corporel que sur les dialogues pour faire passer les émotions. Giannoli réussi plus généralement à se défaire du poids des acteurs -au sens figuré comme au sens propre, n'est pas Gérard?- pour doser leurs interventions et trouver un réel sens à leur implication sur le scénario.
Du point de vue scénaristique, Giannoli touche une corde sensible quand à l'actualité bluffante de l'œuvre originale de Balzac. On s'étonne d'abord de la mondanité de la haute société de l'époque pour rapidement tisser les liens avec l'élitisme social qui persiste aujourd'hui. La mondanité des spectateurs allant au théâtre davantage pour le spectacle social que la pièce en elle-même a cela d'effrayant qu'elle ne semble pas tout à fait désuète de nos jours. Pour reprendre le mot de Debord, Illusions Perdues illustre la société du spectacle et plus précisément le goût pour le spectacle de l'humiliation et du scandale qui n'est malheureusement que trop présent actuellement.
Le réalisateur rend également justice aux personnages balzacien, fascinants dans leurs vanités et tragiques dans leur malice. Je me suis surpris à accorder une certaine affinité pour l'affreux Singali, toujours plus créatif dans sa mauvaise foi et fidèle à lui-même dans sa quête de succès par humiliation coordonnée.
Le seul reproche que je puisse faire réside dans les dialogues qui paraissent parfois creux (surtout avec le personnage de Coralie) en se rapprochant davantage d'une élocution contemporaine que du vocabulaire d'antan. J'ai été occasionnellement arraché de ce monde guindé par une tournure de phrase d'une familiarité peu convaincante.
Mention spéciale à Vincent Lacoste qui -par je ne sais quel mystère- arrive à se procurer des rôles majeurs en jouant le même personnage désinvolte depuis le début de sa carrière. Sans oublier non plus le magnifique travail de l'équipe décoration qui réalise un bureau sur-mesure de Dauriat dans lequel le monument-Depardieu vient littéralement s'encastrer.