Imitation Game par Pierre Marot
La vie d'Alan Turing est passionnante, et elle méritait bien un film ; l'un des hommes (j'imagine qu'il y a des centaines d'histoires comme celle du décryptage d'Enigma qui attendent d'être rendues publiques) qui contribua le plus directement à l'effort de guerre alliés, et qui n'en retira rien - hormis la satisfaction d'avoir battu le jeu.
J'ai donc profité des vacances de femmes et enfants chez les grands-parents pour aller le voir au cinéma, occasion rare s'il en est !
Alors, Imitation Game, c'est quoi ?
Ce sont quelques acteurs géniaux, et même si je suis sûr que je vais me lasser rapidement de voir Benedict Cumberbatch jouer des génies incompris (Sherlock, Khan...) il faut admettre qu'il est vraiment très bon dans son rôle de génie misanthrope, Asperger (et ce, même si le véritable Alan Turing n"était a priori pas aussi renfermé mais au contraire chaleureux et charmant (*)), le duo qu'il joue avec Keira Knightley fonctionne à merveille, entre amour, amitié, respect.
Le reste du casting est tout aussi impeccable, et si la caméra ne prend pas vraiment de risque et abuse un peu des champs / contre champs, ça fonctionne. Le choix de mêler des images d'archives et d'autres fictives pour les quelques scènes de guerre m'a un peu dérouté, mais ça ne se produit pas souvent.
Hormis la disparition -de Tywin Lannister- du Commandant Denniston vers le milieu du film, juste quand ça devient intéressant, il y a un vrai problème dans le traitement de la (double) différence de Turing. Quand il demande à l'inspecteur s'il est un Héros de guerre ou un criminel, évidemment on a tous envie de répondre "il ne peut pas être le deuxième puisqu'il est le premier" ; et s'il est finalement incriminé, c'est autant parce qu'il est homosexuel que parce qu'il est asperger, incapable de se comporter "correctement" envers les inspecteurs.
C'est là que le bât blesse, et le film n'insiste pas là-dessus ; au contraire, le film semble vouloir nous demander de faire une exception dans notre traitement de la différence pour les cas exceptionnels.
Alan Turing était quelqu'un de réellement exceptionnel, un génie, un héros de guerre.
Et alors ? Le Royaume-Uni ne l'a pas mal traité lui plus ou moins qu'un autre ; le Royaume-Uni l'a mal traité exactement comme les autres homosexuels de ce pays, de façon absolument indigne. Est-ce qu'il faut accepter les excuses de la reine à son endroit parce que c'était un héros de guerre ? Non.
En dehors de ce traitement des différences de Turing, je dois reconnaître que même en connaissant la fin par avance, ce film est vraiment bon, l'intrigue se dénoue au fur et à mesure pour nous montrer les aspects de la personnalité du héros ; pas toujours dans la finesse, évidemment, avec les différents temps du film (enfance, guerre, arrestation), j'étais néanmoins happé par la narration qui fonctionne.
L'histoire du déchiffrage d'Enigma méritait bien ça.
(*) Hollywood ne connait rien du génie, de toutes évidences, et à besoin de personnages excentriques pour les faire apparaître géniaux. Enfin, je suppose que l'acteur de Sherlock Holmes savait où il mettait les pieds...