Récompensé en 2014 dans la catégorie "meilleur scénario adapté", Imitation Game aurait pourtant pu être bien plus qu'un simple film à Oscars.
Rien que son personnage principal est une originalité qui mérite bien qu'on s'y attarde. Homme torturé et marginal, Alan Turing est pourtant bien le cerveau derrière l'opération ayant permis d'écourter la Seconde Guerre Mondiale de deux ans, ainsi que celui à l'origine du développement de la recherche informatique. Et en guise de récompense pour ses bons et loyaux services, le savant s'est vu condamné pour homosexualité et forcé à un choix sympathique : la prison ou la castration chimique ! Il n'obtiendra le pardon royal (pour quel crime, on se le demande bien) qu'en 2013, soit plus de 60 ans après sa mort.
Benedict Cumberbatch semble taillé pour un rôle d'une telle ampleur. Qu'on ait vu ou pas la série Sherlock qui a fait sa renommée (ou plus récemment Doctor Strange), l'acteur Britannique se montre parfaitement à la hauteur du rôle qu'il interprète, tant celui-ci se révèle être un personnage aussi fascinant que complexe. Tantôt effronté avec ses supérieurs et odieux avec ses collègues de travail (dont il n'hésite pas à licencier la moitié dès son arrivée), tantôt vulnérable et touchant lorsqu'il se trouve en difficulté, Turing apparaît comme un anti-héros atypique qu'on finit néanmoins par trouver attachant, en particulier lors de passages hilarants (comme la demande en mariage la plus maladroite qu'on ait vu au cinéma) ou émouvants (les flash-back de son adolescence et la scène qui suit son ignoble procès).
Bien qu'assez peu présent, le reste du casting s'en tire avec les honneurs : Rory Kinnear parait bien plus sympathique que dans Broken, Keira Knightley se débarrasse enfin de son image de belle gosse bankable, Allen Leech est décidément très crédible dans le rôle du salopard manipulateur de service et c'est toujours un plaisir de voir jouer Mark Strong. En revanche, on regrettera que Charles Dance nous fasse une redite de Tywin Lannister (rien d'étonnant du fait qu'il devait tourner la saison 3 ou 4 de Game Of Thrones en même temps) et que Matthew Goode choisisse de privilégier le côté grande gueule et coureur de jupons de son personnage, là où on aurait préféré voir à l'oeuvre son adresse aux échecs et son génie en mathématiques.
Car c'est bien là que le bât blesse : sur papier, Imitation Game a tout pour fonctionner : une histoire peu connue du grand public, un personnage principal marginal, un domaine d'expertise dont on nous présente les meilleurs éléments, une ambiance d'époque, un casting quatre étoiles, un cadre britannique séduisant et enfin une issue tragique façon Amadeus. Alors qu'est-ce qui coince ?
Tout simplement le fait d'avoir voulu raconter tout cela de manière beaucoup trop Hollywoodienne. Le film coche l'une après l'autre les cases des biopics les plus basiques et les plus stéréotypés qui soient, si bien que cela en devient agaçant. Démonstration :
Un type rejoint un nouvel environnement dans lequel il a du mal à s'intégrer — exception faite que pour une fois, c'est de son fait et non celui des autres — mais finit tout de même par se faire accepter et "sauver" in extremis par son groupe dont il deviendra la mascotte ; dans ledit groupe se trouvent une jolie nana, un playboy dragueur et vantard, un mec louche cachant bien son jeu et un petit jeune manquant d'expérience (car il en faut bien un qui soit plus naïf et fragile que les autres) ; à chaque moment de doute, on aura droit soit à un flash-back justifiant l'attitude controversée de Turing par un épisode marquant de son adolescence, soit à un montage alternant la conception de sa machine et ses séances de jogging avec une jolie musique derrière ; et bien sûr, au bout de près d'une heure de film, la résolution de l'énigme viendra d'elle-même telle un Deux Ex Machina. Si la réalité historique l'avait permis, il n'aurait plus manqué qu'un happy-end en apothéose pour rendre cela encore plus convenu.
Heureusement le film se rattrape de ce côté-là, livrant à l'opposé une conclusion cruellement réaliste où Turing, trahi par son seul véritable "point faible" émanant de son côté le plus humain, connaît un sort aussi ignoble qu'injuste.
Et puis il y a la musique. Ceux qui me connaissent savent à quel point ça compte dans la note finale et Alexandre Desplat s'est surpassé de ce côté-là, ne serait-ce que dans la toute dernière scène où Turing et son équipe sont montrés en train de célébrer leur plus grand succès autour d'un feu de camp
brûlant le fruit d'années de travail acharné leur ayant permis de sauver des millions de vies mais tenu de demeurer top-secret
dans une apparente euphorie en parfait contraste avec les mots que l'on voit apparaître à l'écran révélant le sort tragique et l'héritage du pauvre homme, tandis que retentit la mélodie douce et mélancolique du thème principal.
Rien que ça, ça vaut bien une note au-dessus de la moyenne.