Pierre ou diamant brut, bijou un peu effrayant. Un autre film de Jane Campion, elle qui débarque aux Etats-Unis, et ne s’en laisse pas compter. New York, à nous deux ! 

Elle fait un thriller, c’est peut-être une commande. Elle respecte certains codes du genre, en détourne d’autres, met son grain de sel. Jane reste Campion. On dirait une peinture au couteau, ce film. A la fois brut de brut, fort, sensuel, laché. Des couleurs denses, pas de profondeur de champ. NY. Au ras des pâquerettes. Avec une sorte de buée ou sfumato qui délaye l’atmosphère, et dilue les couleurs dans de la chaleur. NY pictural. Voilà un film qui va plaire aux amateurs d’art.


Ce film ressemble à une œuvre d'art dont on ressort essoré par la chaleur, la sueur, et le manque d’oxygène. Derrière la caméra, il y a un peintre qui a vu quelques vidéoclips, et qui a compris un truc. Un thriller fait après mille thrillers, et toute l’histoire du cinéma, ne doit pas ressembler à un autre. Il doit être second degré, premièrement. Le parcours du serial killer est moins important que la beauté formelle, écrasante celle-là. Jane s’intéresse à la ville qu’elle filme comme une inconnue qui marche sur un trottoir, un amateur complètement perdu, qui s’attardant sur les détails, et préfère évacuer les clichés touristiques (gratte ciels, statue de la liberté, etc).


Ses obsessions se sont écrasées, et comme oxydées sur le goudron New-Yorkais. Dans ces chambres sordides, ce bars à strip-tease glauques, ces personnages qui semblent tous un peu abrutis, et Meg Ryan désaxée, à côté de ses pompes. La petite fiancée de l’Amérique a bien changée( !?) Elle a vieillit, (réellement, physiquement), et est très frustrée sexuellement ; sans plus aucun glamour, semble au bord la dépression imminente. On a du mal à reconnaître la poupée blonde de nos jeunes années, diront les nostalgiques. Meg redécouverte, mise à nue par Campion, et c’est pas joli-joli; mais c’est très beau. Jane n’a aucune pitié pour nous, ni pour elle. Le phantasme pour ados est devenu une chose mi-anorexique, mi névrosée, enlaidit, tout le temps filmée sous un faux jour. Une vraie ombre. Son psychisme, est décalqué sur le design du film, un vrai brouillard, où on peine à trouver des appuis solides.
Le serial killer qui rôde dans les rues, n’aura aucun mal à l’attraper. Pauvre fille ! Les crimes de femmes se succèdent. Comme dans une routine macabre, même pas peur, comme par habitude ou fatalité, tous semblent l'accepter. Tout le monde semble abruti et habitué dans ce film. La routine. NY.
Meg joue Frannie, femme mûre, prof, entourée de figures masculines peu rassurantes. Le macho à moustache, Malloy, joué par Mark Ruffalo. L’ex joué par un étonnant Kevin Bacon, lui, il sort de l’hôpital psychiatrique (? ) Frannie semble atterrir de nulle part. Elle choisit mal ses mecs, et fait pas mal de bourdes. Elle perd souvent une chaussure, ce qui la fait marcher gauche. Gag. Un mâle bien intentionné la lui remettra au pied, de façon très symbolique. Dans n’importe quel autre thriller, elle serait l’innocente victime de service, Frannie; ou le témoin gênant, le second rôle féminin. Ici Campion inverse la symétrie, et met en lumière une femme quelconque, un second, qui devient héroïne de substitution. Un portrait banal, et érotique. Pas d’histoire. Le portrait de Frannie est serré, enfermé dans celui de la ville. NY. Menaçante, violente, à coup de plans rapides, on ne s’attarde sur rien, on n’a pas le temps. Une ville presqu’abstraite, inhumaine. Un graffiti sur une vitre, une laverie automatique couverte de sang, avec dedans, des morceaux de corps dedans???

Une femme découpée en morceaux. La signature du tueur, une alliance au doigt. Le serial killer a encore frappé. Frannie ou Frey pour les intimes, est un témoin gênant. Elle a vu quelque chose qui l’a met en danger. Le spectateur lambada verra ce qu’elle a vu; un plan porno entre deux portes, avis aux amateurs. Très explicite, ce plan, qui va faire jaser. Mais l’important c’est pas ce qu’elle a vue, mais son interprétation, erronée. La trame du film, peu lisible, entretient savamment le doute. Les apparences sont trompeuses, et on est dans un film de Jane Campion. Le seul moment de respiration, se sont des échappées belles dans la rame du métro, à déchiffrer des haïkus. Frannie est une rêveuse. Ou une vieille fille. Ou une femme qui a des problèmes à régler avec son père. Un complexe d’Oedipe féminin peut-être ? Son prochain rêve nous le dira. Elle rêve souvent éveillé, un rêve récurent, ou intervient son père et sa mère, jeunes. Elle devrait consulter.


Je vois derrière ce thriller, l’histoire d’une femme qui croit toujours au conte de fées, alors qu’elle vit dans la ville du péché. Symbolique s’il en est. Une ville qui ressemble à une photo anthropométrique, un flyer pour rencontre coquines, ou pour bars à putes, des tags sales, ville de poètes déchus, un papier A4 marqué : avis de recherche. Vite torché, sans ambiguïté, des scènes de sexe X, ou roses. Et des dialogues EXPLICIT CONTENT. NY. Elle sera la prochaine victime si elle ne se bouge pas le cul, Frey ! Elle n’est pas comme sa sœur. Blonde, en chair, et femme mûre décomplexée…Jennifer Jason Leigh. Galerie de portraits. Pas facile le portrait, peu flatteur, sans fard, une femme à la dérive du début à la fin du film. Campion a même des accents très Cassavetiens par moments, mais en plus coloré...
Frannie sera la dernière victime du serial killer, tout porte à le croire. Il veut lui mettre la bague au doigt. Il veut "l’épouser", avant de la démembrer, comme il l’a fait avec les autres.

Angie_Eklespri
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le 12 janv. 2016

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