Il est donc encore des cinéastes qui font des films de ce genre, loin de tout tapage médiatique, davantage occupés à décanter le réel, à en saisir l’inévitable, le suc, la substantifique moelle. Par où commencer ? C’est sans doute l’un des meilleurs films que j’aie vu de toute ma vie, meilleur au sens propre, irradiant d’une positivité, d’une grandeur de cœur, d’une largesse d’esprit parfois à la limite du supportable. In the Family est d’une insolente perfection, formelle et interne.
C’est du Suwa aux États-Unis que nous a fait Patrick Wang. Une lecture de l’espace formidable, un goût inné pour la composition subtile des plans (séquences), pour le hors-champ, pour la fuite du cadre, le secret… C’est probablement le film le plus « moderne » qu’il m’ait été donné de voir à ce niveau-là, aux côtés de M/other et d’Un couple parfait. Absolument rien n’est laissé au hasard, et pourtant il transparaît de tout cela une formidable simplicité, une clarté complète au sein des cadres. Et le plus fou c’est que ça dure presque 3h ! Ce Wang est un génie, puisqu’il a compris que le cinéma c’est d’abord des lignes de force et des perspectives visuelles.
Les perspectives, qu’elles sont nombreuses dans ce film. La famille se place au centre du tableau. Et à partir d’elle le cinéaste va tisser une splendide toile de questionnements, à mêmes de profondément remodeler les existences qui gravitent autour du protagoniste et de son fils. C’est un film d’une grande violence verbale, qui donne à voir d’une part la rigidité du système judiciaire américain, de la loi et du droit plus largement, de leur sublime inflexibilité. Mais c’est aussi un film qui ouvre aux plus grands espoirs, qui met à nu ce qu’il y a de meilleur dans l’être humain, en le forçant parfois au mutisme afin de mieux entendre ce qu’il a dire au-dedans.
Quelle sensibilité. Voilà un réalisateur qui aime ses personnages… d’un amour « automatique », perpétuel et insatiable comme le dit Joey (joué par Patrick Wang lui-même). Aucun pastiche, jamais un mot de trop ou « en travers » n’est prononcé. Le verbe sert toujours à construire : il évoque le réel, le restructure à l’envi dans la perspective de le dépasser. In the Family est l’absolu contraire du film à thèse, puisqu’il appuie toute son histoire sur des choses immuables, des théorèmes, seules entités à même d’extérioriser, in fine, l’essentiel : l’amour d’un père pour son fils, une affection qui transcende les liens du sang. Un très grand film et un coup de maître pour les débuts de Patrick Wang derrière la caméra, à voir sans tarder.