Sec comme le feu et le sang
Avant le génial Prisoners en 2013, et le complexe Enemy en 2014, Denis Villeneuve réalise Incendies, en 2011. Mettant en scène deux jumeaux qui partent à la recherche de leur père et de leur frère au Moyen-Orient après la mort de leur mère, le réalisateur québécois nous offre un film différent des deux précédemment cités. En effet, Incendies est de ces films que l'on ne peut pas, ou difficilement, attribuer à un seul genre cinématographique. Est-ce un film de guerre ? Est-ce un drame, tout simplement ? Difficile de le dire, tant il emprunte à l'un et à l'autre et tant Villeneuve parvient à instaurer un genre nouveau avec ce film.
On retrouve d'ailleurs dans ce film un sens de l'esthétique plus poussé que dans Prisoners et Enemy, aidé par une photographie sublime, agrémentée de nombreux plans extra-larges. Plusieurs fois, les personnages sont ainsi relégués au rang de simples silhouettes à l'arrière-plans, perdues dans la solitude des décors secs du Moyen-Orient. Mais où, au Moyen-Orient ? Les lieux visités sont mystérieux: est seulement laissé filtré cette ambiance orientale qui suggère que la recherche va s'opérer dans cette région du monde. Ancrer son intrigue là-bas permet à Villeneuve de créer une ambiance remarquablement unique, plus subtile encore que celle de Mensonges d'Etat de Ridley Scott (qui avait un cadre similaire), où le danger n'est jamais bien loin, comme le rappellent ces fusillades qu'on entend fréquemment au loin.
Les plans extra-larges nous permettent également de percevoir toute la "beauté" de ce paysage déchiré, ravagé par les guerres, avec une justesse et un réalisme absolument saisissants. On découvre petit à petit un pays où peu de choses tiennent debout plus de 30 ans, et je parle autant au plan humain qu'au plan matériel. Au plan humain, c'est caractérisé par cette avalanche de meurtres commis sans états d'âme tout au long du film, sous prétexte de guerre de religion (ou même parfois sans aucun prétexte du tout). Au plan matériel, c'est un petit plus subtil: Villeneuve mettant en parallèle la vie de la mère et l'intrigue principale, on découvre successivement les mêmes lieux avec 30 ans d'écart, qui ont entretemps quasiment toujours été rasés par une attaque. C'est donc, d'une certaine façon, un film sur la guerre, plutôt qu'un film de guerre, qui nous montrent les conséquences de celle-ci, des plus directes (morts) aux plus indirectes (changement du mode de vie, danger omniprésent, traumatismes, idéals de vengeance...).
Mais au final, le vrai point fort de l'oeuvre de Denis Villeneuve, c'est son scénario. Certains pourront dire qu'il y a de grosses longueurs que je ne les contredirai pas, mais le twist final en vaut clairement la peine, même s'il a l'inconvénient d'être le seul vrai rebondissement du film (qui fait malgré tout plus de deux heures). Par ailleurs, les personnages ont l'avantage d'être travaillés et attachants, et très bien investis: les acteurs, bien que peu connus, sont tout à fait convaincants. Enfin, je finirai en disant que Incendies, c'est aussi un film aux scènes chocs: que ce soit le twist final, ou la scène du bus (ceux qui l'ont vu sauront de quoi je parle), Villeneuve parvient à doser parfaitement la tension pour nous offrir des actions mémorables. De plus, le film ne tombe jamais dans le gore ou la violence gratuite: au contraire, encore une fois, le réalisateur très prometteur qu'est Denis Villeneuve retranscrit toujours intelligemment la violence et la souffrance.
Un film intéressant à voir donc, même s'il demeure, à mon goût, un cran au-dessous de Prisoners.