Ne voir en Incubus qu'un simple précurseur du genre folk horror, avec la particularité d'avoir été tourné en espéranto, reviendrait à passer à côté de son véritable sujet.
Incubus, c'est un décor paradisiaque et lumineux où plage et pinèdes se côtoient pour le meilleur... et le pire. Car les démons hantent cet éden. Et parmi ces démons, il y a la jeune et jolie Kia, manipulatrice assoiffée de perversions et de meurtres. Lassée par trop de facilité à mener les humains dans ses pièges assassins, elle veut désormais s'attaquer à la bonté, voire à l'amour. Et détruire coûte que coûte cet amas d'abominations. Malgré les remontrances de sa sœur aînée, tout autant démoniaque mais un peu plus sage, Kia cherche d'abord un véritable saint du côté des hommes d'églises, puis déchante rapidement face à la fourberie qui les anime. L'humanité, pure et altruiste, elle la trouvera finalement auprès de Marc, un soldat rapatrié suite à une grave blessure de guerre. Ce dernier est soigné sous la bienveillance de sa jeune sœur, Arndis, une paysanne au cœur d'or. Marc et Arndis restent les sujets parfaits pour les jeux perfides et sadiques de Kia… mais les choses vont se dérouler tout autrement en la défaveur de la jeune démone.
Langue internationale conventionnelle inventée par le médecin Louis-Lazare Zamenhof en 1887, l'espéranto fut utilisé ici pour offrir un peu plus de mystère au long-métrage. Ce qui n'était pas vraiment nécessaire face à la simplicité narrative du récit qui causa, par ailleurs, le four commercial du projet. Seule la France distribua le film en salles, ce qui permit à la Cinémathèque de conserver une copie dans ses archives puisque le master original a définitivement péri lors d'une inondation. Remastérisée avec soin par les éditeurs Le Chat Qui Fume, la copie récemment éditée en 4K UltraHD privilégie une flamboyance que le long-métrage n'avait jamais obtenue par le passé.
Outre la beauté des paysages magnifiée par un sublime noir & blanc, Incubus plonge allégrement ses spectateurs dans une abyssale profondeur aux influences bergmaniennes dont l'arc narratif pourrait se résumer à une réécriture du Necronomicon lovecraftien par Marivaux. Le jeu de l'amour délaissant ici le hasard pour le plus sombre des cauchemars où les définitions du Bien et du Mal se voient controversées selon le point de vue des différents protagonistes.
De ce fait, c'est une série de questions philosophiques que le scénariste-réalisateur Leslie Stevens aborde frontalement dans Incubus. Les émotions et les sentiments se voyant impitoyablement torturés par le simple désir d'assouvir une forme de plaisir antinomique où la démonologie s'accouple à l'angélisme, l'œuvre démystifie la religion catholique sous le gibet du Sanctificetur nomen tuum (que l'on peut littéralement traduire par Que ton nom soit sanctifié) en invoquant un incube se métamorphosant en bouc tout droit sorti du Necronomicon (en l'occurrence ici celui aux mille chevaux pour celles et ceux qui ont lu Lovecraft) afin de ramener la démone Kia dans le chemin du Mal après avoir été souillée (violée ?) par l'abomination que représente l'amour. Un retournement plus que parfait du schéma romantique traditionnel aussi bienvenu que fascinant.
Littéralement happé par ses diverses influences, Leslie Stevens n'offre pas pour autant la perfection que l'on aurait pu attendre d'un genre aussi annonciateur qu'est le folk horror (genre revenu à la mode ces dernières années suite aux succès critiques et commerciaux de The Witch et de Midsommar), mais concède néanmoins aux spectateurs une fascination peu commune envers une œuvre visuellement sublime où le fond abonde de pertinentes réflexions aussi paradoxales que déconcertantes.