L’art du verbiage chez Tarantino et son intérêt pour la podologie féminine ont toujours été ses marques de fabrique les plus identifiables, et celle aussi (surtout) d’être une espèce d’ultimate geek ne s’arrêtant jamais de blablater sur le cinéma, le bis, le Z, le culte, la série B ou le nanar en tous genres (kung-fu, giallo, horreur, western spaghetti, etc.). Inglourious basterds n’échappe évidemment pas à ce côté fossoyeur et exhaustif du septième art ; Tarantino pastiche, recycle, vénère, étale sa science cinéphilique aussi sûrement qu’un bousier en ferait une boulette d’excréments. Mais bon, ça fait plusieurs années maintenant qu’il nous les brise avec ses mêmes tics, TOCs et trucs, ça serait bien qu’il évolue un peu, qu’il se réinvente vraiment dans sa méthode et ses intentions.

Inglourious basterds n’est assurément pas un film sur la Seconde Guerre mondiale, ni complètement la chronique d’une vengeance implacable, c’est avant tout une œuvre sur le langage cinématographique et le langage tout court, parole sémantique, rhétorique et rébarbative aussi jusqu’à une forme d’épuisement physique, de démission psychologique. Le film n’est, de fait, constitué que de chapitres "parlés" le plus souvent autour d’une table (il y a très peu d’action dans Inglourious basterds, condensée principalement dans les dernières scènes) censés donner corps et puissance à une relecture délirante d’événements passés a priori intouchables (Hitler et Goebbels réduits en poussière), mais qui, surtout, ne font pas avancer d’un cheveu (de scalp ?) l’intrigue du film qui semble tourner à vide et en rond ; les chapitres peuvent être vus indépendamment des autres, brisant ainsi un élan, une tension, le tourbillon de l’Histoire et l’ascendance éventuelle d’un cinéma, qu’il soit résistant ou de propagande (c’est LE grand thème du film).

C’est de la théorie toute-puissante (et fatigante) camouflée sous les oripeaux d’un film de divertissement avec juste ce qu’il faut de sang versé, de mises en abîmes, de métaphores, de déclarations d’amour au cinéma et d’hommages à tous crins (Pabst, Riefenstahl, Selznick) pour faire chavirer les critiques cinéphiles qui, dans leur émerveillement mystique, n’y voient plus vraiment grand-chose et parviennent à s’en délecter sans trouver à y redire. Aurait-on loué le brio, le génie, la pertinence du propos et la liberté de ton si Quentin Tartempion avait mis en scène le film ? Pas sûr…

Dans ce qu’il y aurait (beaucoup) à redire à ceux qui, justement, n’ont rien (re)dit, on peut ainsi faire remarquer qu’Inglourious basterds manque cruellement de rythme, d’enjeux et d’incarnation (les personnages restent peu développés, unidimensionnels dans l’instant de la scène à interpréter, à réciter), et que si l’on excepte Fassbender et l’impressionnant Christoph Waltz, c’est tout de même assez mal joué : Brad Pitt insupportable et cabotin dans son numéro de plouc qui marmonne comme s’il avait une rage de dents, Mélanie Laurent aussi inspirée et inspirante qu’une amibe, Daniel Brühl plus tête à claques que jamais…

Ce cinéma ultra-compilé finit rapidement par se mordre la queue ; on devine, derrière chaque prénom (le projectionniste Marcel doit être, à n’en pas douter, un clin d’œil cocasse à une œuvre obscure de blackploitation que seul Tarantino peut se permettre de citer puisqu’il est le seul à la connaître), derrière chaque nom aussi et chaque emprunt musical, une évocation, un sous-entendu ou un plagiat, mais à quoi bon et pour quel résultat ? Tout cela reste à l’état de références consignées par simple goût du jeu, de la citation soi-disant exploratrice du genre et des motifs cinématographiques.

Tarantino ne va pas plus loin que la saynète sous influence, que le bon mot recherché, à tiroirs, à double, triple ou quadruple sens, que l’ambition folle du moment dégoisé, genre "Regardez-moi écrire" plutôt que "Regardez-moi filmer". Si cela fonctionnait dans Pulp fiction et Jackie Brown, entre autres parce que les protagonistes imposaient une présence, servaient de moteurs à la fiction sans être abandonnés en chemin, ici le procédé fait davantage penser à un petit théâtre de marionnettes bavardes où la jubilation, la maîtrise inventive d’antan ont laissé place à des gimmicks sans plus d’intérêt, limités en partie dans leur envie de dézingage historique et leur pâle révérence à la capacité, aux possibles expressifs de l’art filmique.

Pensum très et trop long, déjà démodé, Inglourious basterds confirme que Tarantino est parvenu à un point de non-retour (ce que laissait présager Boulevard de la mort), se singeant, s’auto-citant presque dans un exercice vain et nécrophile d’hagiographie cinématographique (Aldrich, Leone, Peckinpah et des milliers d’autres). Inglourious basterds n’est pas un film de dialogues, c’est un soliloque d’outre-tombe, celui de Tarantino qui rabâche, s’enferme pour de bon dans ses mornes chapelles encyclopédiques. Certes, la scène dans la taverne est géniale (surtout la deuxième partie avec le Major Hellstrom) et la confrontation germano-italienne entre Pitt et Waltz hilarante, mais tout le reste est d’une telle lassitude, d’un tel chagrin et d’un tel ennui.

Pour résumer : de l’audace (Mélanie Laurent qui se maquille et se prépare pour le bûcher final sur fond de Putting out the fire de Bowie et Moroder, tu parles d’une audace, autant se réécouter Call me de Blondie dans American gigolo), de l’action (à un moment, un cinéma brûle…), de la violence (Eli Roth nous refait le coup de la smashing head dans Irréversible - même pas peur - avec, en prime, un superbe raccord malheureux), de l’humour (plus proche de Papa Schultz que du Dictateur), de l’exotisme (on parle allemand, américain, français et italien, un vrai tour du monde Erasmus) et du suspens (qui va tirer dans les couilles de l’autre en premier ?). On en revient finalement à elles, c’est forcément un signe, à Tarantino qui nous les casse et à Hitler qui, paraît-il, n’en avait qu’une.
mymp
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le 13 oct. 2012

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