Une excellente manière de déstabiliser le spectateur et troubler ses repères : concocter une intrigue abracadabrante, pour mieux lui faire apprécier les personnages, les situations et l’humour du film, bref : un scénario indigeste qui n’est qu’une façade. Le meilleur exemple de ce cas de figure, c’est la perle ultime des années 90, et mon film préféré : « The Big Lebowski » des frères Coen. Alors quand certains critiques l’ont comparé à « Inherent Vice », le dernier film de Paul Thomas Anderson sorti ces dernières semaines, il faut dire que cela intrigue et donne envie de voir le film, tout comme l’excellente bande-annonce. Si seulement…
…Si seulement la moitié du quart de ce que je pouvais attendre du film s’était concrétisé durant la séance ! Bon sang, quel ennui ! L’intrigue est effectivement incompréhensible, comme prévu, mais elle n’est en aucun cas une facade. Elle serait plutôt l’enveloppe d’une coquille vide. Puisqu’il faut bien commercer quelque part, attaquons-nous en premier lieu aux personnages. Joaquin Phoenix dans la peau d’un détective privé mou et accro aux joints, avec un visage incroyablement attachant et une démarche parfois amusante, et un flic un peu borné mais avec un bon fond. Ce sont les deux seuls personnages du film, tous les autres acteurs ne sont que figurants : que ce soit deux-trois apparitions mystérieuses de Owen Wilson, le mec qui accompagne le détective dans tous ses déplacements sans qu’on sache vraiment qui c’est, avec pour presque seule réplique : « je sais pas conduire », ou même l’ex petite-amie du détective qui est pourtant le personnage-clé de tout le film, aucun n’est réellement développé. Ce n’est donc pas avec les protagonistes que Inherent Vice porte son film.
Que reste-il ? Tout d’abord, de très nombreuses séquences de dialogues interminables : le « Doc » enquête et rend visite à différents personnages qui l’aiguilleront vers d’autres personnages, et ainsi de suite. Ce ne serait pas dérangeant si ces rencontres ne se résumaient pas la plupart du temps à des répliques d’une platitude ahurissante, tout comme la mise en scène au champ-contrechamp quand ce ne sont pas de bêtes plans-séquences des personnages en train de déverser leur flot de paroles méprisables. Comment installer une ambiance lorsque ces scènes inintéressantes composent plus de la moitié de ce film de 2h 30 ? Avec quelques scènes plus légères, empreintes d’une bande-originale de qualité. Ce sont les quelques bouffées d’air du film, qui ne parviendront néanmoins peut-être pas à vous réveiller, étant donné leur rareté. En effet, la bande-annonce laissait notamment entrevoir des musiques omniprésentes, c’est raté, elles restent trop rares pour sortir le spectateur de sa torpeur.
Sans but, avec peu d’humour, Paul Thomas Anderson signe une adaptation molle, un film nombriliste. Il emmène le spectateur aux tréfonds de l’ennui, où même une voix-off plutôt intéressante au début du film finit inévitablement par lasser. Même Joaquin Phoenix ne sauve pas les meubles, c’est dire !