Inherent Vice, le 7° long-métrage duréalisateur américain Paul Thomas Anderson (PTA pour les intimes) semble marquer un tournant inespéré et salvateur dans l’oeuvre de son auteur.
En effet, PTA nous avait habitué, notamment avec ses deux derniers films, There Will Be Blood (2007) et The Master (2012) à une pesanteur à la limite de l’insoutenable. Dans Inherent Vice se déploie une certaine légèreté et la fumée épaisse et lourde se transforme en une fumée légère et envoûtante. Let’s get high.
Le film nous conte les aventures de Doc Sportello (Joaquin Phoenix), détective privé et de son ex-petite amie Shasta Fay Hepworth (Katherine Waterston) qui vient à sa rencontre car elle soupçonne que la femme et l’amant du magnat de l’immobilier dont elle s’est entichée ne complotent pour empocher son argent. Si ce synopsis ne semble pas très clair, il est à l’image du film, fumeux.
Même si l’on se réjouit de l’évolution du cinéma de PTA on retrouve toutefois des éléments de ses films précédents. Parmi ces éléments on trouve surement l’une des caractéristiques principales du cinéma de PTA, la maîtrise. Alors oui, d’un point de vue formel, comme tous ses autres films, c’est superbe. Cette maîtrise était jusqu’alors au service d’un cinéma fermé sur lui-même, dont le but est le « grand film ». Paradoxalement et heureusement, le meilleur film de PTA à ce jour est le plus léger.
Lorsque l’on regarde Inherent Vice on est d’abord frappé par la puissance de l’imagerie du film. Chaque scène, chaque plan, chaque musique (parfaite B-O), chaque couleur, chaque regard nous marque. On est frappé par la justesse des acteurs et notamment Joaquin Phoenix qui se sublime derrière la caméra de PTA. On est également frappé par des dialogues et des situations absolument improbables (la scène du Chick Planet Massage). On hallucine. Comment rentrer dans ce joyeux bordel en tant que spectateur ? Il ne faut pas essayer de comprendre le film mais se laisser porter, comme-ci Doc Sportello nous tendait son joint pour nous emmener avec lui.
Si le film est une parfaite comédie tant on prend du plaisir à rire, on peut également trouver un versant plus sombre. En effet, il s’agit pour PTA de dépeindre la fin de l’euphorie des sixties et le début des années 70. Ainsi les personnages semblent évoluer dans un temps totalement indéfini même si on nous informe de la chronologie du récit. Au-delà de la drôlerie manifeste du film pointe donc une certaine mélancolie qui vient répondre au propos de The Master qui laissait entrevoir un espoir tandis qu’ici c’est l’inverse qui se produit. De plus, la présence d’une voix off, le personnage de Sortilège, achève de donner ce ton mélancolique au film car celui-ci est raconté au passé. Outre la mélancolie, un autre thème travaille le film, la paranoïa. Elle est omniprésente, de la première à la dernière scène du film. De la demande d’enquête de Shasta à la réaction de Doc. Dans la plupart des plans où Doc enquête il est quasi systématiquement fait référence à cette paranoïa, notamment lorsque Doc reçoit un client et griffonne le mot sur son carnet. À ces deux thèmes se mêlent celui de la drogue et du psychédélisme qui permettent de donner un véritable élan au film car il s’agit bien d’un film sur un certain élan. En effet, on l’impression d’une fuite en avant, de quelque chose qui semble échapper au contrôle et à la raison, il s’agit de s’évader, de s’évaporer, de partir en fumée.