20 minutes. C'est à peu près le temps qu'il faudra à "Inherent Vice" pour vous exclure de son histoire. Dire que le nouveau film de Paul Thomas Anderson, soit dit en passant génial cinéaste, est un bordel narratif accompli ressemble à un euphémisme. On cesse effectivement et rapidement d'essayer de suivre l'enquête du Doc Sportello. Ce n'est ni de la mauvaise volonté, ni de la paresse, car le film semble entièrement basé sur ce postulat. Ce qui constitue à la fois sa grosse faiblesse mais aussi son intérêt. Malgré toute la richesse du film située dans divers lieux et endroits variés, aucun personnage, pas même son héros joué par Joaquin Phoenix, ne se caractérise et ne se dévoile à partir de l'environnement dans lequel il se déplace. De polar cool et décontracté, le film passe à essai théorique baignant dans le poétisme déplacé. La principale faiblesse de "Inherent Vice" tient à cette déformation des émotions classiques, ici mises en scène de façon, comme "The Master", autarcique. Difficile, dés lors, une fois l'éventualité d'une narration intéressante éventée, de trouver dans le film un véritable point d'accroche émotionnel nécessaire à la suivie de son obscur récit. A cela s'ajoute une tendance à l'utilisation abusive de la musique pour masquer les vaporeuses coutures.
En revanche, à condition d'y voir le verre à moitié plein, "Inherent Vice" peut se voir comme la transposition parfaite de l'état d'esprit de Larry Sportello. Détective privé constamment shooté du début à la fin, il incarne sans doute le personnage le plus proche de la narration dans laquelle il vit. De tous les plans, Joaquin Phoenix traîne sa dégaine improbable à travers un tableau de vignettes vintage avec une décontraction et une certaine aisance dans le cool. Intervient alors l'idée la plus intéressante du film, celle de faire de Sportello un électron libre se déplaçant dans un semi-rêve au fil de son enquête, subissant l'environnement au lieu de s'y épanouir. Une impression amplifiée par le fil rouge du film, anecdotique aux yeux de ceux dont la conclusion importe plus que le sort de son enquêteur, l'ex de Larry, Shasta. Personnage clairement fantomatique, à la fois présent et irréel, elle représente le véritable objectif de Sportello, le fil rouge caché du film. Ce que le Doc poursuit n'est pas tant l'achèvement de son enquête que les retrouvailles avec son ancienne amoureuse. Pas étonnant alors, une fois cette partie de l'intime acceptée, de voir dans le film les scènes réunissant Sportello et Shasta comme les plus réussies et les plus détachées de son récit. C'est cette part d'irréel, cette altération du tangible, qui offre à "Inherent Vice" un véritable coeur auquel il faut se tenir fermement pour éviter de se détacher d'un film, qui, sans ça, prendrait vite l'eau et se noierait dans sa vacuité, et ce malgré toute la beauté de la mise en scène d'Anderson.