Inherent Vice commence par une histoire classique de polar. Un privé désabusé retombe sur une femme fatale qu'il a connue dans le passé. Elle lui révèle un projet d'enlèvement contre son Jules actuel, un magnat de l'immobilier. Une machination ourdie par sa femme et son amant, l'argent et le sexe comme d'habitude, et comme cela se passe à L.A., une sombre affaire impliquant urbanisme et drogue est aussi au menu !
Cependant, le côté classique du film s'arrête là, car l'histoire se déroule en 1970 avec son ambiance psychédélique, et provient de l'esprit très particulier du romancier Thomas Pynchon, connu pour son œuvre dense et complexe. Cette enquête n'est d'ailleurs qu'un prétexte pour nous montrer la fin du Flower Power. Nous sommes au moment où l'Amérique insouciante des années 60 se réveille avec la gueule de bois. Une vague de paranoïa s'abat sur le pays avec les événements liés à Charles Manson ou à la mort de Martin Luther King. Tout le monde voit des complots partout et l'utopie hippie se brise sur le mur de la réalité, avec le retour des conservateurs, sa transformation en « machine à fric », et ses propres excès.
Dès lors, Inherent Vice est avant tout une oeuvre ésotérique. Chaque personnage, joué par une magnifique galerie d'acteurs, et mention spéciale à Joaquin Phoenix et Josh Brolin qui portent le film, représente une facette de l'époque. On a le hippie souhaitant faire survivre ses idéaux, le patriote américain recherchant le respect perdu, ou le jeune idéaliste piégé dans la drogue et les cabales politiques. Mais les allégories les plus intéressantes restent la femme fatale, représentant le « vice propre » de toute entreprise humaine, et le personnage du promoteur immobilier, incarnation des dérives de la contre-culture et de sa conversion plus tard au libéralisme. Tous ces personnages se retrouvent alors dans cette histoire à tiroirs compliquée et brumeuse, à l'image de notre héros drogué et paumé dans le brouillard de L.A..
Paul Thomas Anderson nous propulse donc dans cette œuvre déroutante, filmant ce trip de façon réaliste, à l'inverse du baroque Las Vegas Parano, traitant aussi de la fin de la contre-culture. Tout au long du film, nous nous demandons si ce que nous voyons est bien réel, ou bien les bouffées hallucinatoires provoquées par cette période trouble. L'exercice est difficile, et explique en quoi Inherent Vice est typiquement un film, qu'on peut soit apprécier, soit détester. Certains rentreront dans cette défonce, d'autres non, ça ne se commande pas.
Finalement à la sortie de ce trip, si Paul Thomas Anderson nous restitue très bien l'atmosphère psychédélique et paranoïaque de 1970, il se perd avec un film qui n'en finit pas en digressions et en conclusions. On reste malheureusement ainsi sur sa faim, avec une dernière partie bien trop longue et qui tombe à plat. Dommage, pour ce qui aurait pu être un excellent mélange entre Chinatown et Las Vegas Parano, puis qui fait aussi écho à notre époque.