Le studio Warner Bros. Production souhaite produire un remake du film norvégien Insomnia de Erik Skjoldbjærg sortie en 1997. La demande est faite à Steven Soderbergh et sa société de production Section Eight Productions. Le cinéaste impose à la Warner : Christopher Nolan à la réalisation, Wally Pfister à la photographie et Dody Dorn au montage.
Comme il est de mise quand on propose un remake, on fait un effort de ne pas trop s’éloigner du matériel original tout en tentant d’améliorer le produit de base. Nous nous transposons de la Norvège à Nightmute, en Alaska, village qui lui aussi subit le phénomène du jour perpétuel. Une adolescente est retrouvée morte, et on fait appel aux policiers Will Dormer et Hap Eckhart pour assister la police locale dans l’enquête.
La première liberté au scénario original est l’ajout d’une enquête qui plane au-dessus de Will Dormer au sujet d’un de ses précédant cas, pour lequel il aurait été accusé d’avoir manipulé des éléments de preuve. Dès le départ, on apprend que Hap Eckhart doit témoigner dans l’affaire, ce qui rend la relation entre les partenaires plutôt tendue. Ceux et celles qui ont vu l’original savent que cela n’augure rien de bon pour son partenaire qui, lors d’une embuscade tendue au tueur, est accidentellement (ou non) tué par Will Dormer, le tout sous les yeux du tueur. Dormer n’a d’autre choix que de camoufler les preuves qui pèsent sur lui, surtout lorsque Ellie Burr, admiratrice du célèbre policier, est chargée d’enquêter sur cet accident.
La Warner Bros. Production et le scénariste Hillary Seitz offrent un scénario taillé sur mesure à Christopher Nolan, à savoir un thriller qui se préoccupe autant de l’enquête principale que des personnages en jeu. D’autant plus que le protagoniste de Will Dormer rappelle les héros habituels de Nolan : une personne hantée par quelque chose, plongée au cœur d’une machination et qui se retrouve livrée à lui-même, tout en étant manipulée par l’antagoniste. Une trame taillée sur mesure pour le cinéaste, qui se retrouve avec un concept scénaristique pour le moins original, le héros atteint d’insomnie, servant à complexifier l’ensemble et à donner plus d’enjeux à l’ensemble. Et si vous vous rappelez des films précédents de Christopher Nolan, où ce dernier avait réussi à transformer de simples enquêtes en scripts terriblement labyrinthiques, cette version américaine s’annonce comme une nouvelle œuvre majeure du cinéaste.
Insomnia sort en 2002 et dénote avec les anciennes réalisation de Christopher Nolan avec sa structure narrative toute linéaire. Le cinéaste va glisser des images, des indices, des flash-backs rapides qui appartiennent tantôt au récit lui-même, tantôt aux visions personnelles et subjectives du héros. La signification de ces inserts échappe au premier abord, mais elle deviendra de plus en plus évidente avec l'avance du récit.
Le visage, fatigué, de Al Pacino va se montrer très convaincant en policier au bout du rouleau. Le monsieur a les traits tirés, les yeux tombant et le regard somnolant tout au long du métrage. Le sommeil qui va le fuir pendant tout le film va le mettre à bout, d’ailleurs on peut traduire son nom : Will Dormer par « celui qui veut dormir ». Al Pacino livre une bonne prestation d'un flic qui fera ce qu'il faut pour sauver sa réputation et surtout pour ce qui lui semble être juste.
Robin Williams incarne ici un rôle beaucoup plus sombre, machiavélique et ambigu que la plupart de ses précédents films. C’est surprenant, surtout quand on a grandi en voyant Robin Williams faire ses pitreries à l’écran. Lui-même dira :
C'est passionnant d'interpréter un homme aussi méprisable que Walter Finch, qui vous incite à explorer les zones les plus obscures de notre personnalité : la séduction du mal ou sa banalité par exemple.
Pas de manichéisme naïf, pas de conclusion qui en appelle à la morale. Tout au plus dit-on qu'il vaut mieux, pour tout le monde et en particulier pour une officier de police (interprétée par la géniale Hillary Swank), respecter les voies du droit plutôt que de vouloir régler les choses à sa façon. Même si l'on sait que la justice s'est montrée incapable de condamner un coupable avéré. On pouvait, il est vrai, se passer de cette précision.
Là où Christopher Nolan a voulu se concentrer pour que son film ait fière allure, c’est par ses nombreux plans : panoramiques pour les paysages de l’Alaska ou rapprochés quand le personnage de Will Dormer rentre en scène. À défaut d’impressionner avec le scénario, le cinéaste le fait soit en mettant plein la vue au spectateur, soit en lui permettant de s’identifier au héros, et cela lui permet de capter l’attention de son public avec une très grande efficacité. D’autant plus qu’il s’amuse à user de jeux de lumière saisissant et de décors travaillés (plus sombres qu’à l’ordinaire) pour rendre les rayons du soleil aussi douloureux et déstabilisants afin de mettre en scène les rares moments d’insomnie du héros.
Insomnia est un thriller classique dans le bon sens du therme. Au sein de la filmographie de Christopher Nolan, le métrage dénote par l’absence de ses poncifs donnant tout le sel de son cinéma. Il est une œuvre de commande impersonnelle qui aura au moins eu le mérite d’ouvrir les portes d’Hollywood à son réalisateur. Et de gagner la confiance des producteurs pour des projets suivant bien plus ambitieux, qui bousculeront l’industrie du blockbuster.