L’obscurité occupe le cadre. Mais, une personne craque une allumette. Un visage apparait alors, suivi d’un nom, d’une profession et d’une signature. Lui, c’est Michael Madsen, réalisateur danois. Contrairement à ce que vous pensez, il ne s’adresse pas à vous. Mais à vos descendants lointains, très lointains. A vrai dire, ceux-ci ne vous ressembleront plus, et ne partageront peut-être même pas vos gènes. On ne sait rien de qui ils seront, puisqu’on est incapable de prévoir ce que l’humanité sera dans 100 000 ans : trop grande est l’obscurité.
Into Eternity : A Film for the Futur, de son titre original, est un documentaire qui s’intéresse au site d’enfouissement de déchet nucléaire d’Onkalo en Finlande : une caverne de cinq kilomètres, creusée jusqu’à cinq cents mètres sous terre afin d’empêcher toute contamination à la surface. Ces déchets doivent être enfouit pendant 100 000 ans en attendant qu’ils deviennent inoffensifs, sachant qu’aucune construction humaine n’a durée ne serait-ce qu’un dixième de ce temps.
Loin d’être un pamphlet contre le nucléaire, le film a le mérite de poser de nombreuses questions sans imposer les réponses. Qui serons-nous dans 100 000 ans ? Quelles langues parlerons-nous ? Comment faire comprendre à une population inconnue qu’un site dangereux se cache sous terre ? Devons-nous nous souvenir ou oublier ? Des pistes de réflexion sont apportées par les différents experts interviewés. Mais aucune ne semble dominer réellement. C’est donc à nous, spectateur, de réfléchir : sur l’intérêt de ce projet, sur comment en moins de 100 ans nous avons réussi à polluer notre planète pour 100 000 ans…
Très loin du simple du documentaire scientifique ou du reportage télévisé, malgré les interviews et les explications savantes, Madsen arrive à nous plonger dans un autre monde, dans un autre espace-temps. Ses longs plans, ses musiques électroacoustiques, donnent une sensation de malaise face au précipice temporel qu’est Onkalo. On alterne entre l’intérieur obscur du tunnel, les interventions face caméra des spécialistes, les paysages figés de la Finlande et le site de stockage des déchets nucléaires actuel. Les multiples travellings et plan au steadycam semblent appuyer une présence fantomatique, comme si nos descendants parcouraient l’intérieur de ce documentaire pour s’informer sur nous et notre environnement. Madsen s’adresse d’ailleurs sans cesse à eux par le biais de la voix off, offrant ainsi un témoignage à ces futurs habitants de la terre.
Cependant, nous pouvons lui reprocher de ne pas s’interroger sur la matière même de ce témoignage. A l’heure où l’image n’a jamais été aussi éphémère. Au moment où l’on retrouve encore des films des premiers temps, dans un état déplorable, au bout de seulement 100 ans. Comment faire pour qu’un film, sous forme numérique ou pellicule, puisse survivre à 100 000 ans ? Madsen a un objectif ambitieux, mais il ne pense pas aux capacités techniques actuelles, à la durée de vie de son film. Ce qui aurait pu être intéressant à l’époque où l’humanité se croit immortelle, ineffaçable et où le temps n’est réduit qu’à savoir quand aller travailler, manger, dormir…
Ce film nous fait prendre conscience que tout ce qui nous entoure est finalement comme cette allumette que tient Madsen : éphémère ! Rien n’est figé ! Le temps n’est pas constitué que de minutes, d’heures, de jours… mais c’est aussi des centaines, des milliers, des millions et des milliards d’années. Le cinéma a à peine cent ans. Il y a 100 000 ans, l’homo sapiens, notre race, faisait son apparition. Arrivons-nous seulement à imaginer ce que représentent 100 000 ans ?
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