Into the Abyss par Cthulhu
Au premier abord, ce documentaire paraît simplement traiter d'un crime absurde ayant eu lieu dans une petite ville perdue au fin fond du Texas, et de la peine de mort, mais en réalité le sujet du film est plus complexe, et surtout plus intéressant que ça.
En effet, Werner Herzog nous livre des discussions dans un moment de tension où chaque personne affectée par ce crime est à vif - puisque l'un des deux meurtriers, Michael Perry, doit se faire exécuter sous peu – et parvient grâce à sa franchise et à un sens aigu du détail à en faire sortir une intensité rare. Mais le véritable propos d'Herzog, est que cette histoire parmi d'autre baigne dans une folie collective, dont personne ne semble vraiment s'en apercevoir. Il n'y aucune prise de conscience de la part de ses interlocuteurs, ni aucune volonté de s'interroger sur le fonctionnement de la société qui a forgé ce mal. Chacun se masque les yeux face au réel, et se conforte dans sa propre folie : on bloque les souvenirs qui nous hantent, on s'attache à un déni de culpabilité, on croit sur parole un criminel que tout condamne sous prétexte qu'on en est amoureux, etc.
Toutes ces personnes vivent dans une illusion, pensent simplement avoir subit une malchance, mais ne se rende pas compte que c'est leur société tout entière qui est malade : le triple meurtre qui donne l'impulsion au film n'est que le symptôme d'une folie plus généralisée. Et en supposant cela, Herzog n'a pas à prendre la figure d'un juge moral qui l'opposerait à ses interlocuteurs, car nous sommes alors tous fous. Ce mal, c'est aussi le passage de la communauté à l'hyper-individualisme, qui entraine la perte des repères moraux, et forge les fondations de crimes de ce genre.
Quand Herzog réalise son documentaire, dix ans ont passé depuis l'acte nihiliste de Michael et Jason. Pourtant, rien ne semble avoir changé dans cette petite ville. Les gens continuent à ne pas analyser les faits, restant au stade de la souffrance, ne dépassant jamais le ressenti. D'ailleurs, Herzog invite à plus avec ses questions, mais ne pousse pas ses interlocuteurs dans leur retranchement, ce qui donne parfois des dialogues assez vains. Un élément représentatif de cette non-réflexion, est le cas de l'ancien bourreau, Fred Allen. Celui-ci n'a pas démissionné car sa raison le lui a imposé, au bout d'une réflexion personnelle sur sa situation, non, il a quitté son emploi suite à une crise de nerf inopinée. Seule une personne paraît lucide sur ce monde, il s'agit du père de Jason, lui même en prison comme ses deux fils. Il est apaisé, conscient de son échec en tant que père, et de sa part de responsabilité.
La vie à Conroe paraît un cauchemar, pas rempli de mal, mais de vide. Les individus sont aliénés, souffrent d'un vide existentiel. Dans Into the abyss se mêlent grotesque, absurde, horreur, ridicule, poésie et folie. Mais de savoir tout cela vrai change la nature du documentaire, et lui donne une allure de film d'horreur. Werner Herzog réussit là un tour de force, celui de nous oppresser avec nos propres démons, de nous ouvrir les yeux sur nos sociétés malades. Au final, le discours est peut-être vain, mais on est bouleversé. Terrifié, peut-être ; mais bouleversé.