En deux lignes :
John erre à travers Los Angeles. Il obtient une paire de lunettes qui lui permet de voir le monde tel qu’il est : entièrement contrôlé par des aliens.
Et en un peu plus :
They Live, mais qui donc ?
John Nada, d’abord. Personnage principal du film au prénom stéréotypé, anonyme, et au nom qui veut tout dire, ou plutôt rien, nada. C’est que John est une idée, un concept. Il n’est rien – sans origine, sans passé, sans famille – n’a rien – ni maison, ni objets – et erre à la recherche d’un emploi dans une banlieue de Los Angeles au bord de la rupture. Il est la misère incarnée, il est ce « rien » que la société tend au mieux à mettre au ban du monde, au pire à écraser de son pouce ou de ses mots – un moins que rien, un bon à rien. Il est le chômage, la pauvreté, la marginalité, la solitude. Il est ceux que l’on cache parfois, souvent, pour faire semblant que tout va bien ; il est aussi anti système, un peu malgré lui. Nada ! John n’en restera pas là.
Car si John Nada vit encore un peu ou presque, il y a les autres aussi, et c’est là que ça se corse. « Eux » qui exposent leur vie sans poussière, sans accrocs, faites de tours en verre immaculées, de vacances au soleil et de pause-café entre deux lunchs, « eux » qu’un attaché-case accroche immédiatement au monde de ceux qui ont réussi, mais « eux » qui semblent aussi soudain, aux yeux de John, condenser l’horreur du monde moderne et des rapports de domination insidieux qui le sous-tendent. Aux yeux de John, oui, car seules des lunettes mystérieuses trouvées par hasard dans une église lui permettront de percevoir, au sens propre, la réalité sous les apparences, la vérité sous l’artifice, la magouille idéologique sous le vernis du réel. Comment s’y prendre, lorsqu’on n’est rien comme John Nada, pour lutter contre cette menace sous-jacente ? Que faire face à eux qui contrôlent la marche du monde, et manipulent le réel à leur profit ?
L’autre John, Carpenter cette fois-ci, propose avec They Live une réponse cinématographique à ces questions. Une réponse sous forme de brûlot politique enragé au charme délicieusement eighties, fausse série B de science-fiction qui dissimule, sous une batterie de coupes mulet incroyablement désuètes, des enjeux intemporels pour nos sociétés dans lesquelles liberté et asservissement idéologique s’entremêlent à tel point que la limite entre l’une et l’autre devient parfois difficile à identifier. John Carpenter, dans ce coup de gueule adressé en son temps à la politique ultra-libérale de Ronald Reagan, oblige ses spectateurs à porter des lunettes dévoilant le réel, un réel qui fait mal. N’est-ce pas là une façon idéale de commencer une saison de ciné-club placée sous le signe d’un voile…à soulever ?