Oubliez toutes vos attentes avant de découvrir It Comes At Night, car vous n'allez pas voir un film d'épouvante ni un film qui vous fera sursauter. Non, vous allez découvrir un film qui, comme avait pu le faire Shyamalan et son The Visit, tient un tout autre propos que celui vendu généralement lors des grosses sorties horrifiques. It Comes At Night est un film d'épouvante qui parle des films d'épouvante. C'est la concrétisation réelle, indubitable et viscérale du sel du cinéma de genre : le soupçon. De la première à la dernière minute, It Comes At Night noie le spectateur et ses protagonistes dans le doute et l'inquiétude, et ce avec tous les outils existants du cinéma pour y parvenir. Il ne met en scène ni les effets, ni les conséquences et encore moins la transition vers un état d'horreur ; il montre la frontière infime entre le rationnel et l'irrationnel, entre ce que l'on sait et ce que l'on croit savoir.


Trey Edward Shults à la mise en scène offre des plans somptueux, où les formes géométriques côtoient les ombres dissimulées un peu partout sur les murs. La maison abandonnée, riche de ses nuances de couleur nocturnes mais aussi de ce jaune mystérieux par les divers éclairages, est le point central de ces doutes. Si le danger vient de la forêt, qui délimite non seulement la zone de contrôle des personnages mais aussi ce que l'on sait de l'univers du film - à savoir pas grand chose pour garder le sentiment d'oppression intact - il vient surtout de cette bâtisse abandonnée où la famille que l'on suit en recueille une autre. Petit à petit, ce qui venait la nuit s’immisce aussi le jour, puis le danger extérieur devient celui de l'intérieur, pour embraser de ses angoisses l'intégralité de ce que propose le réalisateur. Pour fixer les liens tendus et assourdissants des personnages entre eux, la caméra est fixe ou très lente, avec des panoramiques et des travellings qui sans cesse donnent un sentiment d'anxiété latente, comme si les héros maudits que l'on suit ne pouvaient déjà plus s'en sortir, embourbés dans les marécages brumeux des soupçons. Ils sont dans une situation dont on ne s'évade pas. Ils sont l'inconstance.


It Comes At Night nous raconte l'Homme et ses instincts les plus basiques et rétrogrades au fur et à mesure que le récit avance, quand il faut protéger les siens et faire face à un inconnu que l'on redoute tant. Où s'arrêtent nos principes ? Comment la peur agit sur l'individuel et la cellule familiale ? La pertinence du scénario vient de l'atmosphère que veut créer le réalisateur, en allongeant le temps comme si il en était le maître. Ce qui ne se dit pas est bien plus intéressant que ce qui se dit, et ce qui ne se voit pas est alors bien plus terrifiant. Le doute peut être imagé, sous-entendu - la scène où il leur demande de se terrer loin d'eux, on remarque à peine Will au second plan qui fixe le héros pendant vingt bonnes secondes, glaçant - et même tout à fait concret, comme par exemple lorsque Will révèle par mégarde qu'il est fils unique alors qu'il disait auparavant avoir un frère. Si cela ne fait avancer en rient le récit, dont on a l'impression, perdu dans une temporalité absente, qu'il ne décolle pas et qu'il ne bénéficie d'aucun repère tangible, il a le mérite de perdre nos acquis sans cesse. It Comes At Night pour la peur primaire du noir, de la pénombre et de ce que l'on imagine, ce sentiment propre à l'humain de remettre en question l'univers dans ce qu'il a de plus vrai et factuel.


La scène de fin, bien qu'un peu déroutante car le rythme s'accélère, est un bijou de réalisation que le réalisateur aimait déjà retranscrire plus tôt dans le film, quand le fils était en train de cauchemarder de manière tout à fait lucide. Le spectateur, alors perdu, ne savait plus à quel saint se vouer. C'est exactement ce qu'il se passe lors des dernières scènes, et de cette mini course-poursuite à l'extérieur de la maison, quand d'un plan à l'autre, par un simple cut, on change l'échelle des plans du personnage que l'on suit. Le spectateur croit alors que l'on passe à un autre protagoniste, alors que c'est le même, et il en va aussi de même dans la manière de les filmer de très loin ou de dos, pour confondre les vêtements, masquer les visages et les volontés de chacun. Comme durant tout le film, par le biais d'une image fardée d'effroi ou par cette subtilité dans le scepticisme constant, Trey Edward Shults perd le spectateur dans une tension irrespirable et hypnotique, où la logique côtoie le non-sens constamment. On ne sait plus. On ne comprend plus. Il n'y a plus de bien, de mal, de faits ni de bonne manière de faire : il y a l'absence de tous les repères.


Bien aidé par des prestations excellentes, et des rôles brillants comme ces deux pères poussés à bout qui gèrent leur famille comme ils le peuvent dans un univers post-apo, It Comes At Night est un film tentaculaire et inclassable, qui n'aura de cesse de déchaîner les passions entre adorateurs et détracteurs. Ce qui vient la nuit ? Nous n'en savons toujours rien, mais nous avons la certitude d'une chose : nous croyons avoir vu à une dizaine de reprises de quoi nous inquiéter, que ce soit dans la forêt où derrière cette porte rouge. A moins que ce soit cette paranoïa morbide qui annihile nos sens et le parfait jugement de notre vision, allez savoir...

EvyNadler

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5

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