D'accord, Polanski est sans doute un sale type. Mais ce n'est pas pour lui qu'il faut aller voir le film : c'est pour la mémoire du colonel Picquart, dont le rôle dans l'affaire Dreyfus a été largement éclipsé par Zola.
Devenu chef de la section statistique du service de renseignement militaire, Picquart est chargé d'enquêter pour étoffer le dossier d'accusation contre Dreyfus. Mais rapidement, il va découvrir que le capitaine alsacien est innocent. Dès lors, il n'aura de cesse de se dresser contre ses chefs pour mettre fin à cette terrible erreur judiciaire. Cela lui coûtera son poste, sa carrière militaire et même la liberté, car à l'issue d'un procès truqué, il sera condamné à de la prison. Réhabilité la même année que Dreyfus, il sera cependant promu, contrairement au capitaine juif dont les années de détention ne seront pas prises en compte pour son avancement, et finira même ministre sous Clémenceau.
Picquart est un juste qui, en dépit d'un antisémitisme revendiqué, aura fait son devoir. Picquart a sauvé l'honneur de l'armée française. Un héros ? Non, écrit Mirbeau, mieux que cela : un homme. Car "l'humanité meurt d'avoir des héros ; elle se vivifie d'avoir des hommes".
Jean Dujardin, massif, puissant, tout en sobriété, donne au personnage qu'il incarne son humanité. La droiture qu'il affiche s'oppose à la médiocrité, au corporatisme et à la lâcheté des officiers qui l'entourent, magistralement interprétés par une pléiade d'acteurs connus. On se délecte également des clins d'œil pour initiés, du buste de Voltaire trônant chez Zola jusqu'à l'apparition hitchcockienne de Polanski himself en figurant, en passant par cette scène où Picquart joue du piano dans son appartement dévasté, allusion transparente au "Pianiste", autre film du réalisateur traitant de l'antisémitisme.
Film sombre mais profondément humain, "J'accuse" dépasse le manichéisme en montrant un Dreyfus hautain et cassant, remerciant du bout des lèvres un Picquart qui, devenu ministre, lui refuse par calcul politique -et peut-être par idéologie - la promotion à laquelle il a droit. Le film, et c'est l'une de ses grandes forces, n'occulte pas la part d'ombre du personnage principal, qualifié de "faux héros de l'affaire Dreyfus" par l'historien Philippe Oriol. En effet, déçu que Dreyfus ait accepté la grâce du président Loubet plutôt qu'un nouveau procès, Picquart retourne sa veste galonnée et rejoint le camp des antidreyfusards.
Un homme, vous dis-je...