Le dernier long métrage du réalisateur coréen Kim Jee-woon fut certainement une des plus grosses surprises de l'année 2011. Sur le papier pourtant, rien ne laissait présager une telle originalité étant donné l'idée de départ (un policier traque l'assassin de sa fiancée) et la sur-exploitation du genre vigilente (thriller sur la vengeance) par le cinéma coréen à travers entre autres la trilogie de Park Chan-wook (Sympathy for Mr Vengeance, Old Boy puis Lady Vengeance). Si le réalisateur touche-à-tout avait déjà obtenu ses galons dans le genre avec A Bittersweet Life, un thriller aussi sombre que poétique, il n'avait pas encore réussi à transcender les codes de ce que l'on peut appeler le "thriller coréen". C'est chose faite avec J'ai rencontré le diable puisque le réalisateur signe probablement son meilleur film et parvient à faire oublier son précédent film un peu brouillon, Le Bon, La Brute et Le Cinglé. En effet, à travers une plongée dans le gore cartoonesque où des scènes à la limite du supportable laisse place à des moments de temporisation, il détruit littéralement les codes de la traque à travers un scénario original et surprenant.


Dès le départ, le ton du film est donné à travers une citation du philosophe allemand Nietzsche: "Que celui qui lutte avec des monstres veille à ce que cela ne le transforme pas en monstre. Si tu regardes longtemps au fond de l'abîme, l'abîme aussi regarde au fond de toi." On comprend le sens de la phrase lorsque l'on voit le héros, brillamment interprété par Lee Byung-hun (un habitué chez Kim Jee-woon) se métamorphoser petit à petit en monstre, alors qu'il traque lui-même un monstre. C'est ce qui provoque le malaise chez le spectateur dès lors qu'il ne parvient plus à distinguer le mal du bien et en vient à se demander lequel des deux personnages est le plus dérangé.
L'idée phare du film repose sur le fait que le tueur est attrapé au bout de 45 minutes (le film dure 2h20) par le héros qui a usé de méthodes peu scrupuleuses et qui finit par déchaîné sur l'assassin une violence inouïe. Le réalisateur amène rapidement le moment que le spectateur est censé attendre jusqu'à la fin du film, et il le provoque en le soumettant à une violence souhaitée et pourtant insupportable. S'ensuit une traque malsaine durant laquelle le héros ne cesse de rattraper le tueur pour mieux le torturer, jusqu'à un nouveau bouleversement. Le film ne cherche donc pas à frapper par ce qu'il montre, des scènes outrancièrement gores, un tueur malsain, amoral et totalement masochiste, mais par ce qu'il provoque au sein du spectateur qui ne sait plus déterminer si ce qu'il voit lui plaît, si c'est mérité, logique, ou si c'est totalement absurde.
J'ai rencontré le diable marque également le retour à l'écran d'un géant du cinéma coréen, après quelques années d'absence, Choi Min-sik qui terrifie dans un rôle de boucher grotesque et psychotique. L'acteur, révélé au monde entier par Old Boy de Park Chan-wook, s'accapare le personnage pour livrer une prestation remarquable et confère à son personnage une dimension à la fois diabolique et pathétique. Son tueur est détestable en tout point: il commet des meurtres atroces et révèlent de façon croissante son côté extrêmement sadique. Cette performance suscite ce dégoût chez le spectateur qui voit en lui tout ce qui le révulse et qui permet l'empathie pour le héros et une adhésion à sa traque vengeresse.
Ainsi, le film repose essentiellement sur la figure du diable dont il est question dans le titre. Son identité est trouble puisque si on l'assimile dès le début au tueur, on en vient à se demander si ce diable n'est pas finalement ce policier qui brise toutes les lois pour abreuver son désir de vengeance. La réponse n'est jamais clairement donnée mais le dernier plan sur le héros en pleurs livre la morale intelligente du film qui ne représente finalement qu'une quête vaine. Non seulement, le héros ne parvient pas à refermer sa plaie mais il en ouvre de nouvelles. Le propos prend alors le parti de justifier une violence aberrante et fait du film un ensemble complet, logique et cohérent et ce malgré un récit éprouvant autant par sa violence que par sa durée. Le film ne fait donc pas office de figuration dans le paysage du thriller coréen (et même mondial) mais apporte un renouveau en démontrant que les codes établis peuvent être repensés afin d'apporter une perspective nouvelle au genre. A cela s'ajoute un travail de pensée sur la nature humaine et sur la place du spectateur par rapport à son point de vue sur l'action. En adoptant le point de vue du héros, il accomplit le même cheminement de pensée et l'accompagne dans sa traque, se rendant coupable des mêmes méfaits. La force du film réside ici, en refusant le confort du récit et en réinventant la trame à chaque fois pour surprendre de plus en plus jusqu'à un final immoralement moralisateur.
LeJezza
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le 6 juin 2012

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LeJezza

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