En trois lignes :


Un type veut braquer la serveuse d’une cafétéria ; deux types kidnappent une adolescente suicidaire ; deux autres types se reprochent de s’être volé des trucs ; cinq vieux types veulent faire un dernier coup. Le tout avec une classe formidable.


Et en un peu plus :


Dans J’ai toujours rêvé d’être un gangster de Samuel Benchetrit la couleur est pas là. Contrairement à, mettons au hasard, dans GoodFellas de Martin Scorsese (1990).


Pourquoi diantre ? Ça fait pourtant un bail que le technicolor trichrome a été inventé et que les manigances de l’éponyme Becky Sharp (1935) ont fait frémir la bonne société dans de glorieuses et saisissantes couleurs. Mais si les aventures de celle qui a toujours rêvé d’être une femme du monde relèvent d’une prouesse technique devenue la norme, on ne comprend pas bien l’intérêt de s’entêter à faire du noir-blanc plus de septante ans après.


De son propre aveu, Samuel Benchetrit entend « proposer quelque chose de différent qui, sans être réac, n’existe plus aujourd’hui » par opposition à ce que propose par exemple TF1 où « tout est hypercoloré, hyperaccéléré ». Ainsi, J’ai toujours rêvé d’être un gangster se conçoit comme un film foncièrement marginal. Le recours au noir-blanc n’est à cet égard qu’un aspect parmi d’autres par lequel il se démarque des productions mainstream. Le format de l’image, les expérimentations visuelles, la musique, le rythme, la structure narrative, le choix des acteurs, la bande-annonce, l’affiche même, autant d’éléments qui tissent un film voué à déjouer les attentes du spectateur.


Loin d’une narration classique avec des enjeux clairement définis pour lesquels luttent des protagonistes (par exemple, des preneurs d’otages qui chercheraient à sortir d’une banque avec leur butin – Dog Day Afternoon (1975) ou alors la transformation progressive d’un clown tant méprisé que névrosé en villain emblématique – Joker (2019)), J’ai toujours rêvé d’être un gangster est un film à sketches qui ne devient jamais choral, dont les différents récits se côtoient sans jamais s’entrelacer, contrairement à ce que propose Pulp Fiction (1994).


J’ai toujours rêvé d’être un gangster, c’est un peu comme avoir toujours rêvé de jouer dans un orchestre symphonique, en intégrer un dans lequel tout le monde apprécie la musique sans que quiconque se soucie d’une éventuelle symphonie et prendre beaucoup de plaisir à jouer côte à côte.


Ceci dit, pour dénoués qu’ils soient narrativement, les différents sketchs se rejoignent en ce qu’ils filment avec ironie et tendresse celles qu’on aime à appeler « les petites gens », les ratés, les nuls. Et même lorsqu’ils opposent deux stars dans leurs propres rôles (entendez Baschung et Arno), aucun ne détonne dans cette cafétéria moribonde. Tous deux y font, tant bien que mal, un petit pipi au petit coin et entreprennent laborieusement autour d’un petit café un small talk d’où sourd et jaillit finalement la petitesse morale.


Lorsque s’ouvre GoodFellas, si le protagoniste a toujours rêvé d’être un gangster, c’est parce que cela lui ouvre toutes les portes et lui permet de devenir quelqu’un, précisément les objectifs que visait en d’autres temps et par d’autres moyens Becky Sharp. Le film de Benchetrit, lui, se referme sur deux anonymes en cavale pour nulle part, à qui le code de la route notifie qu’ils n’ont pas la priorité, alors qu’ils sont à pied.


Personne ne les poursuit.

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Créée

le 25 sept. 2024

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