Pablo Larrain s’attaque à une icône, et aux jours qui l’ont définitivement fait entrer dans les livres d’histoire.
Quand on pense à Jackie Kennedy, on visualise sa coiffure, son style chic, et son tailleurs rose qui se jette sur un mari qui n’est déjà plus.
On pense à ses images de femme hurlant sa douleur spontanément, essayant de faire face comme elle peut en récupérant l’irrécupérable, en voulant comprimer une hémorragie qui n’a jamais été soignable, et on revoit aussi par contraste la dignité dont elle a fait preuve lors des funérailles, entourée de ses enfants.
Jackie, c’est la classe, même face au pire.
L’intérêt de ce film aux allures de documentaire, c’est qu’il présente derrière un beau travail de restauration, un regard qui englobe plusieurs aspects du mythe.
Jackie est ambitieuse, extrêmement soucieuse de son image et consciente du rôle qui est le sien. Elle sait ce que signifie être la first ladie: ne pas avoir de pouvoir réel mais être une vitrine, une extension de l’image du président. Elle sait aussi que sans ce président, elle n’est plus qu’un accessoire inutile, une guirlande qui n’orne plus aucun sapin, un poids.
Au grès de scènes savamment distillées, on la voit jouer la charmante maitresse de maison un peu niaise, heureuse de montrer aux américains leur patrimoine, fière de la mission qu’elle s’est donnée et qui vise à faire de la maison blanche un musée de l’histoire américaine; puis elle assume son rôle de mère quand il faut apprendre à deux enfants qu’ils viennent de perdre leur père, on la voit dominatrice face au journaliste auquel elle accepte de parler à condition de tout contrôler, directrice quand elle donne l’impulsion pour faire des obsèques de son mari un évènement mondial, humaine quand on imagine l’ampleur de sa perte.
On alterne les moments historiques, les images officielles, les versions connues, et les scènes off: l’envers du décor, le comment on en est arrivé là, ou plutôt comment elle, Jackie a pu ressentir, vivre chaque étape.
Le travail de reconstitution est parfait, et pour une fois il me semble que pour donner l’impression de restituer différemment les événements, les scènes archie-connues sont filmées sous un angle différent, comme pour nous rappeler qu’on va en avoir une lecture différente.
En traitant d’un laps de temps restreint mais plein d’intensité, le film nous fait passer par une impressionnante palette d’émotions: Natalie Portman est parfaite, et on croit en elle dans le rôle.
Comme on croit aux moments où l’héroïne est perdue dans la maison qui n’est déjà plus la sienne, où elle redevient une femme qui souffre.
Le réalisateur s’attache à nous montrer une Jackie qui a tout de suite conscience du poids de l’histoire: elle veut qu’on entretienne le souvenir de son mari, et s’emploie à orchestrer des funérailles adressées directement au monde entier et à l’histoire.
Cette clairvoyance immédiate est fascinante, parce qu’on a l’impression d’assister en direct au modelage du mythe. Jackie sait qu’on oublie vite les hommes d’une époque, et qu’il faut marquer les esprits pour rester dans les mémoires.
La démesure des funérailles et l’apparition de la télévision jouent en sa faveur, mais les dialogues avec le journaliste montrent que le contrôle de son image de femme parfaite s’exerce sur chaque détail et révèlent un aspect méconnu du personnage.
Quand on ressort de là, on comprend que la gentille maîtresse de maison un peu niaise du début avait déjà tout d’une grande, et qu’elle n’a jamais été l’idiote dépensière pour laquelle on aurait tôt fait de la faire passer et qu’elle ne s’est pas retrouvée première dame par hasard.
JFK était peut être infidèle, mais il avait bien choisi sa femme: l’épouse parfaite d’un chef d’Etat, et surtout pas la princesse d’un conte de fées.
Ce film est fascinant parce qu’il arrive à restituer la complexité d’une personne sans en avoir l’air, et sans oublier de réguliers rappels à l’histoire officielle, aux images qu’on connait.
C’est l’exemple même d’un biopic réussit: celui qui arrive à livrer autre chose qu’une succession de faits mais qui présente un point de vue sur son sujet.
Ici Jackie est une championne de la communication, une femme qui a compris l’impact des nouveaux médias de son époque, et elle orchestre sa vie avec tant d’attention qu’elle a pu entretenir son propre mythe sans en avoir l’air.
N’est-ce pas la marque des grands de sentir le poids de ses décisions au moment où il les prend?
J’aime qu’un biopic amène le spectateur à revoir son avis sur la personne concernée, et ce Jackie va au delà du récit des événements.