Jane Eyre c'est d'abord le récit d'une souffrance qui prend ses racines dans la petite enfance : orpheline mal aimée recueillie par une tante rigoriste et inflexible qui réserve ses seuls attendrissements à son jeune fils véritable tyran en puissance, c'est entre tortures morales et violences physiques que Jane va devoir se construire.
Dénigrée, méprisée, honnie, réduite au seul statut de menteuse perverse l'enfant se durcit et se ferme, étouffant en elle ses réserves d'amour et de tendresse, impassible à l'extérieur mais consumée de l'intérieur par ce besoin de vivre, de donner et d'aimer.
On a beau connaître cette histoire par coeur, Fukunaga réussit la gageure de nous faire, sinon redécouvrir l'oeuvre, du moins de nous en proposer un éclairage où les personnages, saisis dans leur ambiguïté et leur ambivalence, prennent une dimension intemporelle et donc très humaine.
Rochester, sous les traits séduisants de Michael Fassbender, impeccable une fois de plus, est d'abord un homme blessé et las : de sa vie, de ses frasques, de ce pouvoir que confère l'argent, de cette routine de caste à laquelle il se plie, compensant par un cynisme de bon aloi les manques et les frustrations d'une vie de jouissance et de malheur.
Jane n'est pas une beauté : pâle, visage fermé que durcit encore une coiffure sans grâce, cheveux désespérément tirés en bandeaux sévères, c'est la jeune Mia Wasikowska qui l'incarne, et si dans un premier temps, celui de la désespérance et du malheur on adhère à ce choix, il n'en est pas de même pour ces moments furtifs mais intenses de la passion partagée où l'actrice, définitivement bloquée dans son personnage d'adolescente, ne parvient pas à exprimer le feu qui la dévore, le bonheur qui la submerge.
La lande brumeuse et ses vastes étendues merveilleusement filmées dans des contrastes d'ombre et de lumière, rendent avec une singulière intensité les tourments de l'âme et du coeur qui agitent les personnages, et la première scène, ce flash-back où Jane, désespérée, court à perdre haleine dans un paysage battu par les vents, la transformerait presque en une héroïne gothique.
Une adaptation très fidèle de l'oeuvre, une réalisation empreinte d'une belle sensibilité que j'ai regardée avec plaisir et émotion, éveillant en moi le désir de me replonger dans l'oeuvre littéraire lue il y a bien longtemps.