Depuis son premier long-métrage Libertad dont le titre sonnait comme un programme, Lisandro Alonso épure son cinéma comme sa narration des ficelles classiques, pour mieux chercher une altérité, un ailleurs, et Jauja déplace ce paradigme sur un fond de western patagonien, baigné de mélancolie et de folie.
Mélancolie d’abord : celle d’un déplacement physique - en plein cœur d’un désert infécond où toujours le ciel dispute à la terre le cadre restreint - de deux apatrides danois, père et fille déliés que le destin place au milieu d’une conquête inutile, la recherche par des conquistadors de Jauja, absurde Eldorado.
Folie ensuite qui mettra le récit et ses personnages en branle : première d’entre elles, la fuite romantique de la jeune Ingeborg entraîne son père dans une quête hallucinée où les plans fixes le montreront interroger du regard des paysages mutiques, à tel point qu’on se demande si c’est encore sa fille qu’il espère y trouver. Quand il se sera tout à fait plonger dans l’abstraction des alentours, le capitaine Dinesen - nouveau Marlow hanté par l’invisible Zuluaga - trouvera, à l’aide d’un chien, une anfractuosité dans la roche, passage métaphysique par lequel la prospection s’arrête et où le mystère se donne à voir sans se laisser expliquer.
L’achimiste Alonso offre à Jauja un final magique en transmutant en quelques plans les époques, les lieux, les noms et les saisons, sans pour autant altérer la cohérence de son film, fable de la perdition.