Continuons sur notre lancée des westerns d’Anthony Mann – après Winchester 73 et L’homme de la plaine un peu plus tôt cette semaine – avec Je suis un aventurier (The Far Country pour son titre original), le 4e des cinq westerns issus de la collaboration entre le réalisateur et l’acteur James Stewart.
Je suis un aventurier est l’un des quatre films de Mann sorti en 1955 (les trois autres étant le drame de guerre Strategic Air Command, le western L'Homme de la plaine qui vient clore le cycle du duo Mann-Stewart, et La Charge des tuniques bleues, un autre western qui s’oriente plutôt du côté du film historique). Autant dire qu’il s’agit d’une période prolifique et très active pour le réalisateur.
Je trouve qu’au visionnage de L’homme de la plaine, on ressent cette urgence d’une production de films à la pelle : le budget est limité et l’artistique est sans doute un peu sacrifié au rythme de tournage. Autant avec Winchester 73, on avait l’étoffe d’un grand film, autant ici, rien n’est mis en œuvre pour dépasser la petite production de série B.
Le film n’est pas raté ou mauvais pour autant – bien au contraire – mais il m’a laissé la sensation d’un petit manque d’ambition.
James Stewart incarne ici Jeff Webster, aventurier au caractère bien trempé qui travaille en duo avec le vieux Ben (Walter Brennan, une bonne bouille du western, que l’on retrouve notamment dans La rivière rouge en 1948, et dans Rio Bravo en 59). Les deux associés ont quitté le Wyoming pour mener un troupeau bovin en Alaska, une région où la bonne barbaque se fait rare et où une petite communauté de pionniers chercheurs d’or s’est récemment montée.
Mais les problèmes suivent Jeff à la trace : recherché au Wyoming pour avoir tué deux des convoyeurs qui l’accompagnaient, le voici à peine débarqué du bateau à vapeur à Scagway qu’il se fait un ennemi du sheriff Gannon (excellente figure de méchant incarné par John McIntire), un homme véreux qui trempe dans de sales affaires. Gracié de l’accusation de meurtre dans un simulacre de procès, Gannon en profite pour confisquer le troupeau de nos héros.
Ce qui surprend dans L’homme de la plaine, c’est d’abord le caractère de Jeff. Ce dernier ne possède pas les qualités positives du cowboy classique, mais apparaît comme un personnage tiraillé, individuel et égocentrique. Face à l’injustice, il n’est pas mû par la volonté de se venger du charlatan Gannon. C’est plutôt un homme distant, cupide bien que bel homme, fuyant les embrouilles. Face aux abus et à la malveillance, il préfère fermer les yeux plutôt que de prendre la défense des plus faibles. En un mot, Jeff n’a rien d’un John Wayne ou d’un Eastwood.
Par ailleurs, le western quitte les terres arides de l’Ouest américain pour des contrées plus nordiques. Le désert du Texas laisse ici la place aux forêts de pins d’Alaska. Pas de canyon propice aux embuscades d’Indiens, mais plutôt des traversées de glaciers, au risque d’avalanches meurtrières. La beauté des paysages et l’âpreté du climat font plaisir à voir, magnifiés par un très beau Technicolor.
D’autant que du haut de ses 1h30, le film possède une intrigue chargée. J’avais déjà remarqué avec Winchester 73 et l’Homme de la plaine à quel point les scénarios d’Anthony Mann était globalement plus complexes que la moyenne des westerns. Ici, celui-ci se compose une nouvelle fois de multiples sous-intrigues, pour notre plus grand plaisir.
A la problématique du héros fuyant la justice viennent s’ajouter un triangle amoureux avec deux personnages de femmes fortes (Ruth Ronan dans le rôle de Ronda Castle, et Corinne Calvet dans celui de Renée « la rouquine »), des pillages perpétrés par des bandits, et un important conflit de titres de propriétés de concessions minières.
Je suis un aventurier est donc un bon western dépaysant, que certains qualifient de « film somme » en raison des nombreuses problématiques westerniennes qu’il aborde. Je n'irai pour ma part pas jusque là, et j’y ai nettement préféré l’excellent Winchester 73, qui attache davantage d’importance à une mise-en-scène plus soignée.