La justice restaurative ou réparatrice permet à des victimes d’agressions de rencontrer des agresseurs condamnés afin de pouvoir se reconstruire. Organisé par du personnel formé, elle propose également aux agresseurs de se responsabiliser. Le film de Jeanne Herry explore, par le biais de ses personnages, différents aspects de cette justice qui se veut complémentaire à la justice pénale.
Le procédé choisi par la réalisatrice de Pupille est double. On navigue durant deux heures entre la préparation d’une rencontre entre Chloé et son frère qu’elle n’a pas vu depuis sa condamnation pour viols incestueux et les échanges de paroles entres victimes et condamnés lors de réunions mensuelles. Optant pour une réalisation de type documentaire, humble en effets et se concentrant principalement sur les visages et les ressentis, la puissance du film s’en trouve décuplé.
Le montage oscille entre Chloé, violée dès huit ans par son frère de treize ans, qui demande de l’aide pour faire face au retour de son violeur dans sa vie. Ce récit met l’emphase sur les échanges entre Chloé et Judith dans le but de préparer la rencontre et d’établir des règles d’évitement. Chloé cherche autant à ne plus jamais revoir son frère qu’à apporter des réponses aux questions qui la hantent depuis tant d’années. Parallèlement, on suit un groupe constitué de médiateurs, de condamnés et de victimes. La phase de préparation est ici achevé et c’est aux échanges de paroles que nous assistons. Chacun leur tour, victimes et condamnés vont user de leur parole pour exprimer ce qui les rongent.
Je verrai toujours vos visages est un film d’une rare puissance émotionnelle car il sait parfaitement s’adresser à notre empathie sans convoquer le cortège mélo-pathos. Ici, pas de misérabilisme, pas de dénonciation ou de morale vaseuse. Il n’y a pas de jugement, seulement des paroles qui expriment des ressentis et des souffrances. Chaque personnage est différent dans ses questionnements et sa douleur. Les dialogues sont ciselés et participent à l’interprétation magistrale de tous les acteurs et actrices. Un sentiment d’authenticité se dégage dès les premières minutes pour ne jamais se relâcher. Chaque personnage parvient a déployer plusieurs facettes. Colère, culpabilité, Peur, agoraphobie, incompréhension, naïveté etc. La pléiade de nuances évoquées permet de toujours se renouveler et on vibre à chaque intervention, à chaque confession. Les larmes ne sont jamais loin mais toujours motivées par notre proximité avec les personnages et non par un procédé cinématographique méprisant.
On pourrait intellectualiser, suranalyser, découper scène par scène, plan par plan. Mais à quoi bon ? Je verrai toujours vos visages est un film viscérale qui s’adresse à notre humanité. Il parle vrai. Il parle juste. S’il prend des raccourcis ou s’il décide de ne montrer qu’une partie de l’iceberg et que le versant de la réussite, c’est pour mieux nous dévoiler que nous sommes tous victimes, tous coupables.