Les textes autour de Jeanne Dielman sont aussi intéressants, sinon plus, que le film en lui même. Celui de Benoït Peeters, en particulier, sur le site Diacritik, qui bien que datant de 40 ans, en propose une vision différente du tout venant en parlant d'anti-réalisme. Il pose notamment des questions sur les scènes volontairement abrégées par la cinéaste (où sortent la mère et le fils, la nuit, par exemple ?) qui contredisent l'idée de retranscription exhaustive du quotidien et intiment la conviction que ce sont les ellipses du long-métrage qui en disent le plus long sur sa nature. Meilleur film de tous les temps, en 2022, pour les critiques rassemblés par Sight & Sound, dans un sondage marqué par un wokisme galopant, Jeanne Dielman a marqué son époque et continue à enthousiasmer certains cinéphiles et à laisser de marbre les autres. L'ennui et la fascination sont de la partie pour qui essaie de voir le films sans préjugés, en pensant aussi à Eustache (les dialogues en moins) ou à Pialat (sans la fougue). C'est une épreuve, parce qu'étiré ad nauseam (qu'en aurait-il été sur 90 minutes seulement ?) pour mieux saisir la routine de cette veuve bruxelloise, symbole d'aliénation ou de névrose, mettez les termes qui vous siéront. Les gestes, les objets (ah, la soupière aux billets !), les rues vides sont autant d'éléments pour alimenter une froideur terrible et une tristesse infinie. On a le droit de réserver le titre de meilleur film de tous les temps à L'aventure de Madame Muir ou à Quand une femme monte l'escalier, par exemple, autres portraits de femme, mais ce n'est qu'une question de sensibilité personnelle et surtout d'émotion suscitée.