Visibilité et constat implacable de la femme au foyer des années 70

Considéré comme le film le plus exigeant de Chantal Akerman en terme d’investissement pour le public et, même les cinéphiles les plus aguerris, cette capsule temporelle, se déroulant essentiellement dans un appartement, permet au spectateur de percevoir ou comprendre l’état de la psyché d’une femme isolée, en suivant sa routine quotidienne qui va se briser progressivement jusqu’à son final glaçant.


Le traitement rigoriste du quotidien de cette femme, en termes de mise en scène, se rapproche d’un Kubrick précis et minutieux, pour nous immerger physiquement et psychologiquement dans celui de son foyer.


L’étouffement et l’emprisonnement qu’elle ressent dans son appartement, en faisant les mêmes actions dans les mêmes pièces, s’expriment à travers des cadres et plans fixes pas plus grands qu'une cellule. D’ailleurs certaines scènes s’étirent dans le temps pour manifester l’ennui ou l’agacement de Jeanne concernant certaines tâches effectuées. De plus, l'absence de bande originale contribue à la pesanteur de la situation qu'elle vit, tout comme le public lors du visionnage.


L’asservissement de la femme est renforcé par les raisons de ses actions, lorsque la réalisatrice les met en parallèle avec celle des hommes. En effet, toutes les activités féminines tournent autour d’un but unique :

Celui de satisfaire les besoins et les désirs des hommes contrairement à celui des hommes qui est de satisfaire des besoins personnels, sans réelle considération ou d’attention pour la femme ou la mère.

Un des plans les plus significatifs, à ce sujet, est celui où elle tricote un pull pour son fils dans la salle à manger alors que son fils s’adonne à la lecture, dans le canapé du salon.


Cette volonté de présenter le foyer comme une prison se manifeste dans le fait chaque action doit être réalisée à un moment bien précis, tout comme la sortie de l’après midi ou celle du soir avec son fils.


Même quand elle a un moment à soi lorsqu’elle se rend dans un café, elle donne l’impression de ne pas l’apprécier comme si elle était dans l’anticipation des évènements à venir ou de rêvasser pour oublier temporairement sa vie triste.


Ainsi, Akerman confirme que s’occuper de son foyer n’est pas une source d’épanouissement pour la femme, en la cantonnant essentiellement dans la cuisine et la salle à manger.

La cinéaste va encore plus loin en faisant une analogie entre son appartement et l’intimité de la femme. Dès le début, on découvre Jeanne dans son appartement (ou intérieur devrait-on dire) qu’elle gère à la perfection dont chaque pièce constitue une partie de son être. Tout est ordonné et à sa place.


Les seules autres personnes que nous voyons entrer dans son appartement sont des hommes. Les femmes restent au seuil de la porte lors des rares interactions que l’héroïne a avec elles.

Cette symbolique psychologique n’est pas innocente car cela va avoir des conséquences sur l’histoire et le quotidien de cette veuve qui doit élever seule son fils. Les allusions au viol vont être parsemées tout au long du film, avec les entrées masculines, des propos de son fils, et les attitudes ou actes manqués de Jeanne, après l’entrevue avec un de ces hommes, pour ne plus être occultées dans la dernière partie montrant comment la femme s’en libère.


Cela indique bien à quel point comment certaines femmes seules, à cette époque, n’ayant aucune autonomie financière, pouvaient être considérées alors que ce n’est pas un choix délibéré et volontaire, mais, seulement un choix de survie dans un monde qui les ignorent totalement.


Même si ce film est belge, il faut savoir qu'une femme peut ouvrir un compte en banque de manière autonome, sans l’accord de son mari, depuis 1965 en France, soit 10 ans avant la sortie de ce long métrage. Comme on le sait les mentalités ont du mal à évoluer sur certains sujets.


Pour contrebalancer l’invisibilité en société des femmes veuves ou monoparentales, la réalisatrice fait preuve de courage en restant en permanence sur son personnage principal pour montrer la difficulté de vivre seule dans une société très patriarcale, malgré le mouvement de libération sexuelle et féminine ayant eu lieu quelques années auparavant.


Ce contraste est saisissant entre les évolutions sociales de l’époque et le portrait de cette femme se contentant d’agir comme on lui a appris afin de montrer le poids des traditions très ancrées chez la femme, sans lui donner les moyens d’être autonome. Sans oublier la dépression profonde que l’on peut ressentir en tant que veuf ou veuve, après le deuil de son conjoint qui peut engloutir n’importe quel individu, sans soutien psychologique ou financier.


La durée du film est cohérente afin constater, quel que soit son sexe, à quel point la vie d’une femme au foyer peut être un enfer, tout en faisant éprouver au spectateur la mécanique d’un système l’empêchant de s’épanouir, en l’obligeant à effectuer des tâches dans lesquelles il n’y a aucun ou réel plaisir, comme un robot à l’écoute des besoins et des désirs de l’homme, au détriment des siens.


Au bout des 3h20, il est impossible de ne pas comprendre les messages que Chantal Akerman qu’elle crie aux femmes :

Libérez-vous de l’emprise patriarcale de la société (notamment des hommes ne s’occupant que de leur petite personne, sans considération pour sa partenaire) afin de vous sentir libres et épanouies en tant qu’individu et, plus comme un esclave obéissant aux désirs et besoins d’autrui, aussi bien à l’homme qu’aux traditions sociétales et familiales.


Mais aussi aux hommes :

Soyez autonomes et n’attendez pas tout de votre partenaire ou de votre mère (si vous êtes encore un fils) en termes de tâches quotidiennes. Et surtout, faites en sorte que votre partenaire ressente votre amour et pas votre violence que vous devez canalisée autrement que sur les êtres qui vous aiment.


Ce long métrage fait partie de ces films bouleversants que l’on aura tendance à ne voir qu’une fois tant l’immersion peut être une souffrance autant pour la femme que pour le public pour des raisons diverses.


Même si pour vous, la durée est trop longue, estimez-vous heureux car d’autres vivent ou ont vécu cette situation toute leur vie !


Hawk
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le 24 déc. 2024

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D'autres avis sur Jeanne Dielman, 23, Quai du Commerce, 1080 Bruxelles

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