Ce film est un point de départ pour le tandem Marcel Carné – Jacques Prévert. C'est aussi le premier long-métrage de Marcel Carné après plusieurs années d'assistant réalisateur de René Clair ou Jacques Feyder. C'est d'ailleurs ce dernier qui lui met le pied à l'étrier pour "Jenny".
Dans ce film qui, de mon point de vue, aujourd'hui, me semble devenu mineur au vu de la filmographie de Carné, il reste des éléments importants qu'on retrouvera dans tous ses autres films. Par exemple, le soin donné aux seconds rôles et à leurs dialogues.
Jean-Louis Barrault (Dromadaire) ou Charles Vanel (Benoit), par exemple, qui sont les collaborateurs de Jenny (maquereaux et voyous) dans sa gestion de sa maison de rendez-vous. Leurs dialogues sont percutants avec des répliques qui frisent le surréalisme :
"La morale quand elle fout le camp, le fric cavale derrière" dit Charles Vanel qui se désole de la liaison de Jenny avec ce petit jeune (Albert Préjean). La phrase dans la bouche d'un voyou, dépité, dénote d'un certain humour noir …
Ou la réflexion désabusée et surréaliste de JL Barrault dans son personnage de bossu (Dromadaire)
"J'aime mon chien !
T'as un chien toi ?
Non, j'aime ce que je n'ai pas !"
Ce soin apporté aux seconds rôles, surtout quand ce sont des "gueules", qui permet de soutenir et d'appuyer l'action dramatique en apportant un humour décalé ou même de la poésie m'a toujours paru essentiel dans un film. Bien des cinéastes négligent à tort ces seconds rôles et font le pari de ne travailler que la vedette en premier rôle. Des exemples où on ressent ce manque, c'est certains films avec Belmondo.
Pour revenir à "Jenny", quelque chose aussi qui traduit bien cette époque troublée d'un point de vue social et politique, c'est le fatalisme, l'absence d'espoir ou un espoir précaire. Jenny (Françoise Rosay) a un amant jeune (Albert Préjean) qui n'est jamais qu'un gigolo qui vit au dépend de Jenny. Au hasard d'une rencontre, la fille de Jenny (Lisette Lanvin) tombe amoureuse du gars, sans savoir. Apparemment, c'est un nouveau départ plein d'espoir pour la vie. Mais qu'en sera-t-il, en fait, de l'avenir de ces engagements apparemment sincères de la part d'un homme qui semble bien veule …
Et puis, s'il ne fallait retenir qu'une chose de ce film ce serait Françoise Rosay dans un très beau rôle de patronne d'une maison de rendez-vous de standing où elle se frotte à une clientèle spéciale (Robert Le Vigan) mais aussi d'une mère qui veille sur la vertu de sa fille…
Film qui, il faut bien un peu l'avouer, a un peu vieilli mais qui vaut la peine de voir comme un document ou une étape dans la carrière de Marcel Carné.
Comme dit le voyou philosophe Charles Vanel :
"La vie, c'est comme la mayonnaise, faut pas la rater"