L'amour et l'effroi
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Le thème du bonheur perdu et l'emploi du flash back relient "Vers la joie" (1950), où un musicien se souvient de sa femme morte accidentellement et "Jeux d'été" (1951), où une danseuse se souvient d'un premier amour grâce au Journal de son amant, transmis treize ans après sa mort accidentelle par deux autres prétendants. Marie, danseuse célèbre de l'opéra de Stockholm, fuit un présent mélancolique (ses meilleures années professionnelles sont révolues) pour retrouver dans l'archipel l'île de ses amours estivales avec Henrik.
La femme de vingt-huit ans au visage marqué et au manteau de prix redevient par la magie des souvenirs une nymphe de quinze ans, vive et espiègle, spontanée, heureuse de se lever à l'aurore pour aller à la pêche, profiter du soleil, de la mer et du ciel. Elle croise Henrik, grand dadais estudiantin aussi gauche que son grand caniche, jauge immédiatement son chevalier servant, propose le tutoiement, lui montre son jardin secret de fraises sauvages. A son admirateur ébloui qui n'a jamais osé embrasser une fille, elle s'offre spontanément : "Tu es la plus belle que j'ai jamais vue", marmonne-t-il à son étoile, comment une nymphe pourrait-elle résister ?
Bergman filme la nature dans sa plénitude estivale, un Éden pour nos héros : les jeux nautiques en plein air, les reflets étincelants sur les vagues, les rochers à enjamber à toute vitesse, la candeur émerveillée d'un amour en pleine jeunesse, le bonheur de vivre à deux sans contrainte. Entre deux baignades, une promenade dans les rochers ou en barque, ils se découvrent et s'aiment dans une cabane au bord de l'eau (vivre la nuit, ne pas dormir) - et les voilà inséparables pour les longues journées de soleil et les nuits insondables émerveillées d'étoiles.
Évidemment leur bonheur est menacé et la Chute du paradis sera cruelle. Dans sa vaste maison blanche auprès d'une femme meurtrie, l'oncle Erland survit dans le souvenir funèbre de son amour de jeunesse entre ses fantasmes, la chasse et les soirées alcoolisées au piano, mais il attend patiemment son heure pour croquer le fruit savoureux et emporter sa nièce en voyage comme un trophée de chasse. Il est aussi question sur l'île d'un pasteur cycliste carburant à l'alcool, d'une tante fantomatique (la terreur d'Henrik) et à Stockholm de membres de l'opéra plus ou moins philosophes.
Revenue dans la capitale, Marie retrouve "Le Lac des Cygnes", les chaussons neufs douloureux, sa loge et les cigarettes pendant la pose, la réalité durant les séances de démaquillage s'avère moins féérique que la danse sous les sunlights. Un journaliste lui fait sa cour, se plaint de n'être qu'une solution provisoire, assiège l'opéra et s'infiltre dans sa loge, où Marie scrute dans le miroir ses rides et son âme : n'est-il pas temps d'oublier Henrik et Erland, les faces paradisiaques et infernales de son passé, d'accepter l'amour de David, de retrouver la saveur du présent et la sérénité ?
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Créée
le 24 oct. 2018
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