C'était le 4 avril 2021.
J'étais sur C8.
Philippe Labro s'efforçait de présenter entre plusieurs salves de pubs ce grand classique du cinéma français, voire du cinéma tout court.
Oscar du meilleur film étranger, lion d'or à la Montra de Venise et succès planétaire nous disait le journaliste et homme de lettres raffiné.
La définition même d'un classique...
Mais qu'est-ce qu'un classique véritablement ?
Alors oui, Philippe Labro a raison d'insister sur l'unanimité de l'accueil fait à ce film, car un classique c'est effectivement un film qui fini par être reconnu par tous comme un monument intemporel s'inscrivant dans l'Histoire et - d'une certaine manière - dans un certaine forme de continuité d'un art.
Er s'il y a bien des "Orange mécanique", "Blade Runner" où autre "Evil Dead" qui finissent après quelques décennies de division et d'ignorance par être reconnus comme des classiques, le fait est que les films qui se voient auréolés de ce statut de leur vivant (...à comprendre du moment où ils vivent encore dans les salles et les festivals) sont - à quelques rares exceptions près - des films consensuels.
...Des films plein de bons sentiments.
En d'autres mots : des films inoffensifs.
Alors je n'ai rien contre les films inoffensifs mais j'avoue qu'en général ils ne m'embrasent pas non plus, surtout quand ils sont aussi éloignés - de près de 70 ans - de mes standards du moment.
Or le problème de ces "Jeux interdits" c'est qu'on est justement là-dedans : dans le bon sentiment et l'inoffensif.
Une pauvre gamine perd ses parents pendant l'exode de 1940. Elle trouve refuge dans une famille de paysans un peu rustres où elle fait la rencontre d'un gamin qui souffre lui aussi à sa façon de son rapport à la famille.
Ensemble ils vont se construire un monde où on apprivoise la mort pour mieux ensoleiller la vie ; un îlot d'enfance au milieu d'une marée belliqueuse...
C'est vrai, c'est mignon.
À elle seule Brigitte Fossey parvient à nous tirer des miaulements d'attendrissement durant tout le film tellement elle est choupie du haut de ses cinq ans à peine.
Soit...
Mais au-delà de ça qui y a-t-il ?
Un film qui après une scène d'introduction claire et impactante s'abandonne dans un cinéma propre mais qui ne dit plus grand-chose.
Ah si... Ça nous dit que les paysans sont décidément bien rustres et qu'ils ont vite fait d'oublier les leurs (à leur décharge la petite Paulette encaisse elle aussi vachement bien la mort de ses parents pourtant tués sous ses yeux)
Ça nous dit aussi que si la France a perdu en 1940 c'est de la faute à sa désunion et de son attitude je-m'en-foutiste. Pendant qu'on se castagne entre voisins au fond d'une tombe et qu'on déserte à la première occasion pour aller jouer du clairon avec la bergère locale, y'a plus grand-monde pour bouter les Boches hors de France...
Ça nous dit enfin à quel point à ce temps là le Français moyen est prêt à livrer des gamins aux premiers gens d'armes vénus pour peu que ça lui épargne bien des ennuis.
Alors certes, dire et montrer cela ce n'est pas rien non plus, mais au regard de tels sujets c'est quand même bien peu, à tel point que même en sachant se faire court - puisque ces "Jeux interdits" durent au final moins d'une heure et demie - la lassitude parvient à s'installer malgré tout.
Après j'entends bien qu'en 1952, au temps du mythe de la France qui aurait été toute entière résistante, il était sûrement bien délicat d'aborder ces questions de front.
Pour ne pas trop froisser, pour éviter de gâcher le spectacle d'une Brigitte Fossey si chou qu'elle ferait pleurer un régiment, la sagesse imposait de ne pas trop se mouiller ; d'y aller par jeux de timides allusions plutôt que de se risquer sur le terrain des vrais jeux interdits...
Oui c'est vrai que, pour nous aussi spectateur, il est nécessaire de savoir remettre une oeuvre dans son contexte, j'entends bien...
Seulement voilà, c'est sûrement là que se trouverait selon moi toute la différence entre un classique et un chef d'oeuvre.
Un chef d'oeuvre, à mes yeux, c'est un film qui ne prend pas de pincettes. C'est un film qui fait ce qu'il a à faire et qui montre ce qu'il a à montrer.
"Apocalypse Now" par exemple ne s'est pas embourbé dans les pudeurs de gazelle pour nous parler de la Guerre de Viet-Nam, quand bien même le conflit était-il encore tout chaud au moment de sa sortie.
Et ce qui est valable pour un film historique l'est finalement aussi pour tous les autres.
Si "2001" est un chef d'oeuvre de Stanley Kubrick alors que "Lolita" ne n'est pas de mon point de vue, c'est parce que le premier a osé imposer sa temporalité et ses codes au point qu'il a encore aujourd'hui conservé toute sa force, alors que le second a préféré se la jouer tout en sous-entendus pour mieux éviter de se faire tailler par la censure.
Ça ne retire rien au fait que "Lolita" soit un classique - il a marqué son temps et laissé depuis son empreinte dans le septième art - mais il n'empêche qu'aujourd'hui il n'a pas l'impact de ce que je percevrais comme un pur chef d'oeuvre.
Il a été trop sage hier au point d'être devenu trop fade aujourd'hui...
"Jeux interdits" est à ranger parmi ces films là selon moi.
On peut certes l'apprécier pour ce qu'il dit de son époque presque malgré lui, de la même manière qu'il peut toujours émouvoir grâce à la jolie frimousse de Brigitte Fossey.
Mais pour le reste il apparaîtra comme une théâtre bien sage dont les effets avec le temps se sont tout de même bien émoussés.
Alors soit, je comprends pourquoi on a préféré représenter une Paulette bien naïve face à la mort de ses parents plutôt qu'une Paulette hurlant de désarroi car à l'époque ça aurait été aller trop loin dans l'émotion au regard de la sensibilité de son temps - mais aujourd'hui, force est de constater me concernant que sur le long terme ce choix se révèle timoré pour ne pas dire assez lâche.
Et si je comprends que pour un vénérable ancien comme Philippe Labro un tel classique d'hier représente sûrement un beau souvenir de jeunesse, chez moi ils représentent juste les témoignages d'une convenance révolue...